Avez-vous déjà essayé de brûler des tomates ?
Avez-vous déjà essayé de brûler des tomates ? Pas génial comme combustible, vous dites ? Et pourtant, à Bruxelles, c’est rentable. Le Gouvernement régional les utilise et finance l’opération depuis quelques mois avec des certificats verts (CV). Ces CV sont une forme de soutien financier pour des nouvelles installations de production d’électricité renouvelables. Ils sont achetés par les fournisseurs d’électricité qui doivent en obtenir un certain quota. Objectif : réduire des émissions de CO2.
Avez-vous déjà essayé de brûler des tomates ? Pas génial comme combustible, vous dites ? Et pourtant, à Bruxelles, c’est rentable. Le Gouvernement régional les utilise et finance l’opération depuis quelques mois avec des certificats verts (CV). Ces CV sont une forme de soutien financier pour des nouvelles installations de production d’électricité renouvelables. Ils sont achetés par les fournisseurs d’électricité qui doivent en obtenir un certain quota. Objectif : réduire des émissions de CO2.
Réduire sans réduire
La décision de la Région d’accorder des CV à la production d’électricité « en provenance de la combustion des déchets organiques de l’incinérateur bruxellois », où nos déchets (entre autres) de cuisine sont brûlés, fait preuve d’une certaine créativité politique. En effet, cet incinérateur n’est guère nouveau ; il est en fonction depuis 1985. Les CV ne seront pas non plus utilisés pour améliorer ou moderniser l’installation.
C’est pourquoi le Conseil de l’Environnement de la Région de Bruxelles Capitale, où le Bral siège à coté de nos collègues d’Inter-Environnement Bruxelles, des employeurs, des syndicats et d’autres instances, a émis un avis unanimement défavorable, et cela dès septembre 2014. Dans son avis, le Conseil rappelle que « le mécanisme des CV a été instauré en vue de réduire la production de CO2 liée aux installations de production d’électricité en soutenant les énergies renouvelables et la cogénération. Dans le cas de l’incinérateur, aucune réduction des émissions de CO2 n’interviendra par la mise en œuvre du mécanisme de soutien ici prévu.”
Incitation à l’incinération
L’intention d’accorder des CV à l’incinérateur n’est pas nouvelle. Tant Emir Kir que Rachid Madrane avaient déjà cette idée lorsqu’ils tenaient le portefeuille de Secrétaire d’Etat de la propreté publique. Mais ces plans se heurtaient à un ‘niet’ de la part d’Evelyne Huytebroeck, à ce moment-là Ministre de l’Environnement, qui considérait que ces CV seraient une forme d’incitation à l’incinération, inacceptable à ses yeux.
Finalement, le Gouvernement acceptait que la diminution du nombre de tonnes incinérées et, du coup, de la capacité de l’incinérateur était la piste qu’il fallait choisir. Le Plan Régional Déchets de 2010 dit : « L'objectif pour la Région doit être d'éviter de devoir investir dans un nouveau four d'incinération lorsqu'il faudra remplacer un des trois fours à Neder-over-Heembeek.”
Mais même avec une collecte sélective dans toutes les communes, une part importante de déchets organiques finira toujours dans le sac blanc et du coup, dans l’incinérateur. Il est clair que si cette fraction garantit un revenu à la Région, celle-ci sera moins encline à sensibiliser les Bruxellois à trier leurs déchets de cuisine.
Ce choix politique était en plus cohérent avec la réglementation européenne, qui oblige les Etats Membres et ses Régions d’atteindre le seuil de 50% de recyclage en 2020, seuil qui reste toujours hors de notre portée. Malheureusement, la nouvelle majorité semble avoir oublié cette obligation.
Par ici les petits sous !
Au Parlement Bruxellois, la décision a fait l’objet d’une critique sévère de la part de Ecolo/Groen et du MR. Selon eux, ces CV serviraient, dans ce cas, de taxe déguisée. Les CV pour l’incinérateur auront une valeur de 10 millions d’euros par an, et ceci pendant 10 ans. Puisque les fournisseurs d’électricité, qui doivent acheter ces certificats, répercutent ces coûts aux clients, ce sont les bruxellois qui payeront : c’est indirectement, via le gestionnaire de la turbine d’électricité de l’incinérateur, Electrabel, que l’argent sera intégralement versé au Trésor régional. Pour l’opposition, le minimum serait de l’octroyer à un fonds qui financerait l’énergie renouvelable.
Au Parlement Bruxellois, la décision a fait l’objet d’une critique sévère de la part de Ecolo/Groen et du MR. Selon eux, ces CV serviraient, dans ce cas, de taxe déguisée.
Si la somme financière en question est non-négligeable, c’est parce que il s’agit d’une fraction de déchets importante: presque 40% de notre sac blanc reste constitué de déchets organiques. C’est vrai que la Région a effectivement commencé de collecter, de manière sélective, une partie de nos déchets de cuisine, et entend généraliser cette collecte. Mais même avec une collecte sélective dans toutes les communes, une part importante de déchets organiques finira toujours dans le sac blanc et du coup, dans l’incinérateur. Il est clair que si cette fraction garantit un revenu à la Région, celle-ci sera moins encline à sensibiliser les Bruxellois à trier leurs déchets de cuisine.
Aide au privé déloyale?
Mais les problèmes liés au dossier ne s’arrêtent pas là. Au Parlement, la N-VA demande si ces CV ont été déclarés auprès de la Commission Européenne qui doit vérifier s’il ne s’agit pas d’une aide déloyale à une entreprise privée. “Bien sûr que cela a été déclaré” avait répondu récemment la Ministre Fremault à la Commission de l’Environnement du Parlement Bruxellois. Mais quelques mois plus tard elle doit admettre que rien n’a été fait à ce niveau. Pas de souci, ajoute Fremault, les CV ne doivent pas être déclarés puisqu’ils ne constituent pas une aide à une entreprise privée, vu que les bénéfices reviennent à la Région. “Electrabel ne touche pas un seul certificat vert perçu par la turbine de l'incinérateur et ne tire donc aucun intérêt du processus d'octroi des certificats verts”, se défend la Ministre.
C’est la Commission Européenne qui doit décider si c’est, ou non, une aide déloyale et non pas le pouvoir public qui fournit l’aide. Dans ce contexte, tout un chacun peut déposer plainte auprès de la Commission, selon une députée de la N-VA.
Selon Liesbet Dhaene de la N-VA, la position de la Ministre est dangereuse. C’est la Commission Européenne qui doit décider si c’est, ou non, une aide déloyale et non pas le pouvoir public qui fournit l’aide. Dans ce contexte, tout un chacun peut déposer plainte auprès de la Commission, selon la députée.
Qui plus est, il n’est pas certain qu’aucune autre entreprise ne soit préjudiciée par ces CV. Même le Conseil d’Etat critique la mesure parce qu’elle serait ‘discriminatoire”. D’autres installations ne peuvent pas bénéficier d’une mesure comparable. Et la fédération du secteur des énergies renouvelables, Edora, déclare dans une note, qu’il “ne peut accepter qu’une taxe déguisée visant la gestion des déchets soit ponctionnée sur le consommateur d’électricité en étant qualifiée de soutien à l’électricité renouvelable, alors que la seule finalité est l’équilibre budgétaire. Cette mesure est contraire au principe de pollueur-payeur, elle compromet toute forme d’innovation et altère la performance économique globale”.
Méthaniser au lieu de brûler?
Mais quelles sont les alternatives pour l’incinération ? Dans son avis, le Conseil de L’Environnement de la RBC le mentionne : « L’octroi de CV à cette production d’électricité est, à ses yeux, de nature à inciter la combustion de déchets organiques plutôt qu’une autre valorisation de type bio-méthanisation située plus haut dans la hiérarchie et donc à mettre en œuvre en priorité.”
On vient de le dire : une partie de nos déchets de cuisine est déjà collectée de manière sélective. Mais au lieu de les méthaniser sur notre territoire, notre Administration des déchets doit les transporter vers… Ypres, en Flandre Occidentale !
En effet, la bio-méthanisation transforme les ordures biologiques en gaz qui peut être, à son tour, le combustible qui produira de l’électricité. Le fait que les déchets organiques sont très humides représente un obstacle majeur pour les brûler, mais les rends très appropriés à être méthanisés. Du coup, la méthanisation récupère beaucoup plus de l’énergie contenue dans les déchets que l’incinération. En plus, la méthanisation ne produit pas de pollution d’air et son résidu ne doit pas être mis en décharge : il s’agit d’un digestat qui peut servir de fertilisant.
S’agit-il donc d’une nouvelle technologie qui reste à découvrir en Région Bruxelloise ? On ne dirait pas. La Région nous avait en effet promis une usine de bio-méthanisation depuis des années ! On en parlait pour … 2010 !
Des promesses pour 2030
On vient de le dire : une partie de nos déchets de cuisine est déjà collectée de manière sélective. Mais au lieu de les méthaniser sur notre territoire, notre Administration des déchets doit les transporter vers… Ypres, en Flandre Occidentale !
Et l’usine de bio-méthanisation promise? Et bien, au mois d’octobre 2015, le Gouvernement a décidé « qu’il ne sera pas matériellement possible de réaliser une unité de bio-méthanisation sur le territoire de la Région bruxelloise pour 2020 et charge la Ministre de l’Environnement et de l’Energie ainsi que la Secrétaire d’Etat à la Propreté publique de faire réaliser (…) une étude relative à l’opportunité économique, sociale, environnementale (…) d’implanter une unité de bio-méthanisation ». Ce sera pour quand ça ? Réponse : cette étude s’inscrit « dans le cadre de la future stratégie renouvelable 2030 » Significativement plus tard qu’initialement prévu…
Alors les plans de valorisation écologique de nos déchets organiques… plutôt au frigo, ou plutôt à la poubelle ?
Auteur: Piet Van Meerbeek - piet@bral.brussels