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Voetnoten

1. La STIB avait d’ailleurs jadis procédé ainsi avec une rame de métro qui attendait sur une voie dédiée entre Mérode et Schuman, et un tram sur une autre voie entre la gare du Midi et Lemonnier.

2. L’Écho, « En attendant le métro 3, Bruxelles cherche des alternatives en surface », 22/11/23

 

Vous pouvez trouver la publication complète avec les pièces jointes en format pdf ci-dessous.

 

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Cet article a été publié dans la publication "Dé-Tour" de l'IEB et a été rédigé par Claire Scohier (IEB), Benjamin Delori (BRAL) et Martin Rosenfeld (IEB).

 

Le terme d’Urban Ruling apparaît pour la première fois dans la presse en 2022 [1]. Cet outil a comme objectif de permettre à un promoteur de connaître, dès la vente d’un site, la faisabilité d’un programme. Mais revenons sur la genèse du concept.

Juillet 2019, le nouveau gouvernement régional fraîchement élu rédige sa Déclaration de politique générale commune pour la législature 20192024. Dès sa première année, le Gouvernement a pour tâche de rédiger « une charte de la promotion immobilière en vue de fixer les processus d’élaboration d’un projet immobilier préalablement à l’acquisition d’un terrain ou d’un bâtiment, afin d’encadrer les prix de vente et de fixer les exigences minimales applicables à son développement ». Cinq ans plus tard, à quelques mois des nouvelles élections, cette charte de la promotion immobilière n’a toujours pas vu le jour. Toutefois, l’idée de cadrer l’élaboration d’un projet immobilier, et par la même occasion le prix de vente d’un terrain, en amont de son acquisition a fait son chemin hors de tout débat public.

On trouve les prémices de cette approche au détour de l’état d’avancement de gros projets immobiliers bruxellois. Le 28 novembre 2019, Pascal Smet, le nouveau secrétaire d’État à l’Urbanisme en Région bruxelloise, fait part rapidement de son souhait de voir davantage de tours émerger dans le ciel bruxellois, notamment pour répondre aux enjeux démographiques, environnementaux et sociaux de la Région et pour autant qu’elles soient mixtes et non des tours monolithiques de bureaux, comme celles du quartier Nord [2] : « Je vais donner un cadre et des garanties aux promoteurs ». Le projet Zin de Befimmo est montré en exemple de cette démarche parce qu’il rassemble un hôtel, du logement, du bureau, des commerces, des espaces de sport, etc. et que des espaces publics sont aménagés au socle des deux tours. « L’architecture doit être audacieuse et intrigante. […] Augmentez la qualité architecturale de vos projets, verticalisez la verdurisation des immeubles, valorisez les toits de vos immeubles, densifiez vers le haut, travaillez en partenariat avec le public. »

Pourquoi pas une troisième tour !

À la même époque, la Banque nationale de Belgique, multi-propriétaire dans le centre de Bruxelles, souhaite réorganiser ses trois sites : la Monnaie royale de Belgique où on frappait la monnaie jusqu’en 2017, l’imprimerie (où les billets étaient fabriqués) et son siège. Elle avait déjà vendu le bâtiment « Monnaie royale » et prévoyait alors la vente de l’imprimerie. Contacté par la banque en vue d’organiser un concours d’architecture pour le siège, Kristiaan Borret, maître-architecte de la Région bruxelloise (BMa), en profite pour émettre l’idée de project lines, destinées à être annexées au dossier de vente de l’Imprimerie, dans l’espoir d’empêcher une surenchère spéculative et de permettre, en conséquence, le développement d’un programme raisonnable : « Si une note urbanistique était établie en concertation avec les mêmes instances représentées aux réunions de projet, permettant de cadrer ce que les administrations et cabinets considèrent comme souhaitable, cela éviterait les offres folles. »

En Région wallonne, il existe un débat sur les intentions préalables d’un projet, mais la mesure est à l’heure actuelle critiquée tant par les administrations que par la société civile en raison de la difficulté de débattre sur un projet peu abouti [3]. Sans doute parce que chacun regrette de ne pas pouvoir détailler l’aménagement du projet.

La même année, le Comité scientifique du logement publie, sous la houlette de Benoît Moritz, un rapport visant à améliorer la construction de logements en Région bruxelloise. Celui-ci constate que la valeur d’un bien/terrain dépend fortement de sa constructibilité. Dans un contexte de concurrence entre acheteurs, cette valeur augmente proportionnellement à la dérogation aux règles de gabarit et d’implantation. Le Comité considère qu’une manière de diminuer la pression et la spéculation sur la valeur des terrains consisterait à définir a priori des densités bâties, en lien avec les affectations du Plan régional d’affectation du sol (PRAS).

Dans la foulée, Pascal Smet annonce la mise sur pied d’un autre comité d’experts pour plancher sur la révision non pas du PRAS mais du Règlement régional d’urbanisme (RRU) sous le nom de Good living. Le rapport recommandera, pour gérer la densité bâtie, de « prévoir dans le CoBAT la possibilité pour les demandeurs d’introduire la note relative à la densité accompagnée d’une étude volumétrique du projet en amont de la demande de permis d’urbanisme et obtenir un avis engageant de l’Administration sur la densité visée » (p. 31). Cependant, à l’heure qu’il est, les processus de révision du RRU et du CoBAT sont toujours en cours. Le BMa tentera de poursuivre l’expérience pilote des project lines dans le cadre de la vente des tours Proximus dans l’espoir de « garantir des conditions de concurrence transparentes pour tous les acheteurs potentiels et contrecarrer la spéculation typique de ces cas de figure, qui aboutit à des prix absurdes » [4]. L’objectif est de cadrer le prix de vente pour éviter que l’acheteur en vienne à demander au moment du permis : « On pourrait mettre une troisième tour. » Pour lui, « les quelques expériences jusqu’à présent sont plutôt positives, les project lines ayant contraint les vendeurs à négocier le prix de vente à un niveau réaliste. D’autre part, ce cadre vise à formaliser des discussions ayant lieu entre les acheteurs potentiels et les pouvoirs publics dans les coulisses [5]. »

En mai 2022, le terme d’Urban Ruling apparaît pour la première fois dans la presse [6], non plus pour évoquer les développements du quartier Nord, mais ceux du quartier européen. Pascal Smet annonce qu’il misera davantage sur l’Urban Ruling : « Nous allons davantage exploiter notre pouvoir de délivrer ou non des permis en annonçant lors de la vente d’un bâtiment ce qui sera autorisé ou non. Cela apporte de la clarté aux promoteurs et permet d’éviter la spéculation. » Il semble évident que les blocages sur différents Plans d’aménagement directeur (PAD) ont joué dans la saga et que l’Urban Ruling peut aussi être perçu comme une façon de contourner les difficultés rencontrées dans le cadre de l’adoption des PAD : « Avec l’Urban Ruling et le règlement d’urbanisme qui sera remanié, plus question de parler du Plan d’aménagement directeur Loi (PAD Loi). Ce plan d’aménagement, qui avait fait couler tant d’encre est abandonné. Franchement, le PAD Loi ne m’enthousiasmait pas vraiment [7]. »

Une régulation définie par un promoteur

Toujours en mai 2022 se tient le Real Estate Academy, un salon de l’immobilier où les pouvoirs publics livrent en primeur aux promoteurs les dernières « directives en matière d’immobilier ». Mais qui livre quoi à qui ? Lors de ce salon, Immobel, un gros promoteur bruxellois, vient présenter l’Urban Ruling au travers du cas du quartier Nord et de la tour Proximus [8]. La chose n’est plus évoquée comme un rappel du cadre urbanistique existant mais plutôt comme un pré-marchandage : si un projet répond à certaines conditions, le développeur peut augmenter de 5 % la superficie en mètres carrés permise selon les plans et règles urbanistiques en vigueur. 5 %, cela semble anecdotique. Ceci dit, si votre projet fait 100 000 mètres carrés, cela fait toujours 5 000 mètres carrés supplémentaires à rentabiliser. À 4 500 euros par mètre carré, on arrive à 22,5 millions d’euros de rentrée brute supplémentaire.

Les conditions présentées par Immobel à cette occasion sont les suivantes :

  1. Assurer une mixité des fonctions avec un maximum de 50 % de bureaux, un minimum de 33 % de logements et 10 % d’équipements publics. Cette règle est peu contraignante et, dans le contexte actuel, plutôt dans l’intérêt du promoteur dès lors que, depuis deux décennies, le logement est devenu une fonction forte c’est à dire rentable. Par ailleurs, il n’y a nulle trace d’une règle imposant un pourcentage minimum de logements sociaux ou publics. Toutefois, selon le BMa, cette condition aurait évolué depuis et les pouvoirs publics exigeraient 25 % de logements à finalité sociale au sein de l’ensemble des logements produits [9].
  2. Diminuer l’emprise au sol : la surface bâtie ne pourrait dépasser 70 % de la parcelle. Il s’agit en réalité de la règle prévue dans la dernière version du projet de nouveau RRU qui est un peu plus exigeante que la version de 2006 qui permettait de bâtir 75 % de la parcelle.
  3. Conserver au maximum la structure du bâtiment. C’est également une règle du projet de nouveau RRU qui demande de privilégier la rénovation à la démolitionreconstruction en autorisant la démolition dans des cas exceptionnels et en assurant le réemploi des matériaux démontés. Selon la perception du BMa et de l’urbaniste Benoît Périlleux, l’Urban Ruling ne serait pas l’occasion de négocier des dérogations mais au contraire d’amener dès l’amont des ambitions claires et des contraintes supplémentaires pour améliorer le projet. Est-ce vraiment clair ?

Ouvrir le champ des possibles…

Lors des ateliers organisés par City Tools fin 2022 en vue d’évaluer le CoBAT, l’outil de l’Urban Ruling sera mis en débat parmi les administrations et divers représentants de la société civile. À l’issue de ces ateliers, City Tools édite un rapport en janvier 2023 qui consacre un chapitre à l’Urban Ruling. Le rapport parle d’étudier la mise en place d’un Urban Ruling et de project lines pour limiter la spéculation sur les grands projets. City Tools propose de le rendre obligatoire pour les projets supérieurs à 5 000 mètres carrés, ce qui représente 1,2 % des permis d’urbanisme par an, soit environ 25 projets. Selon le rapport, cela ouvrirait un dialogue entre pouvoirs publics, vendeurs et développeurs, sur des questions de qualité urbaine et architecturale : densité, programmation, mobilité, espaces ouverts, etc. L’idée est de clarifier rapidement pour le développeur les « champs des possibles, sans préjuger de la suite du processus de projet et ses différentes étapes ».

C’est bien là qu’un flou considérable s’installe. Apparemment, même le secteur immobilier a émis des craintes sur la fragilité du dispositif. Ainsi, on peut lire en titre d’un article du Trends de juin 2023 : « Le nouveau “ruling urbanistique” bruxellois risque de faire pire que mieux… […] Le mécanisme de “prévisibilité” du potentiel urbanistique de certains biens suscite une levée de boucliers de la part du secteur immobilier [10]. » On y lit que Philippe Coenraets, avocat de renom spécialisé en immobilier, considère que les notes, délivrées dans quelques cas pilotes (tours Proximus, ancienne imprimerie de la Banque nationale, ancien Institut Jules Bordet), sont juridiquement « faibles » puisqu’elles ne trouvent aucune assise légale ou réglementaire et devraient demeurer impuissantes à lier ultérieurement les autorités compétentes – principalement l’administration qui délivre les permis. Benoît Périlleux nous confiait également ses craintes sur la fragilité de l’outil : « Si le site pour lequel des projects lines ont été développées est revendu, ces dernières ne s’appliquent plus, le nouvel acquéreur n’est pas tenu. » Mais cela prive-t-il l’outil de toute vertu ?

Des flous spéculatifs

Rappelons que ce qui est à l’origine de l’Urban Ruling, ce serait la volonté d’éviter les situations de surenchère rendant le foncier de plus en plus cher et les programmes urbains démesurés. Mais le « cadrage » en amont hors d’une procédure formalisée s’avère complexe, surtout lorsqu’on prend connaissance du « cadre urbain » (nouveau RRU) en projet concocté par nos élus. En effet, le projet de nouveau RRU, pour sa partie concernant les gabarits, se retranche derrière des objectifs flous telle « une densité équilibrée et harmonieuse ». Il facilite les constructions isolées en décrochage par rapport aux gabarits environnants, pour participer à la « scénographie urbaine ». La notion de moyenne des hauteurs environnantes, servant jusque-là de balise à la détermination des hauteurs maximales, disparaît. Les bâtiments d’une certaine largeur peuvent désormais s’articuler avec les hauteurs des bâtiments environnants et à la « morphologie générale », sans que des hauteurs maximales soient fixées. Ce flou terminologique ouvre la voie à des interprétations différenciées très subjectives qui s’inviteront immanquablement à table lors de la mise en place des project lines.

Si l’on articule ce flou à la volonté affirmée de la Région de poursuivre une densification « intelligente » de Bruxelles, au nom notamment de la nécessité d’accueillir les flux démographiques et de préserver des espaces ouverts et non bâtis, se dessine alors une ville de plus en plus verticale. Or, à ce stade, cette évolution fait l’impasse sur la rente que crée la « ville verticale ». Si vous pouvez construire plus de superficies sur un bout de parcelle, cela va inévitablement augmenter la rente. Benoît Périlleux rejoint cette préoccupation : « Il faudrait pouvoir geler les valeurs foncières comme en France. » Dans son « État des lieux 2023 sur l’apport des politiques publiques aux objectifs climatiques », le comité d’experts en charge du rapport considère qu’« une densification supplémentaire ne serait autorisée qu’à certaines conditions, telles que : offrir des logements abordables ; travailler avec une comptabilité ouverte et des prix conventionnés pour les locations ; travailler avec un règlement d’attribution encadré par la Région ; contrôler les reventes spéculatives ; concerner en priorité la construction de logements sociaux ». (p. 30). Il va même plus loin et demande de considérer « le gel des loyers sur le marché locatif privé pour limiter les effets de la spéculation financière » (p. 72). Mais nous sommes bien loin de disposer de toutes ces mesures antispéculatives. Cela fait deux législatures que l’associatif exige un système de captation des plus-values réalisées par les promoteurs suite à un changement de réglementation, ou demande un gel des loyers et que ces revendications restent lettre morte.

Un affaiblissement de la démocratie

Une autre crainte liée au processus d’Urban Ruling est la dimension « confidentielle » de la négociation. Cette critique était déjà pointée par le secteur associatif urbain au sujet de la réunion de projet. Celle-ci rassemble le promoteur et les administrations concernées en amont de la procédure de publicité-concertation sans que les procèsverbaux de ces réunions ne soient rendus publics.

Soit ce processus de négociation en amont a un minimum de portée contraignante, mais il est peu transparent et échappe à tout débat démocratique, soit il n’est pas du tout contraignant et son utilité peut être questionnée.

Pendant ce temps, plus personne n’évoque le bon vieux certificat d’urbanisme qui visait précisément à permettre à un développeur de tâter le terrain avant d’introduire sa demande de permis et qui avait l’avantage de présenter bien plus de garanties juridiques avec un maximum de transparence. Le certificat d’urbanisme est un accord de principe qui indique si un projet peut être autorisé et en détermine les conditions. Il permet d’obtenir des garanties sur la faisabilité du projet et de connaître les affectations possibles. Il se justifie précisément avant d’investir dans l’achat d’un terrain, afin de savoir si le programme proposé est acceptable dans ses gabarits et affectations. Le contenu du dossier est plus sommaire qu’une demande de permis mais doit être soumis à une enquête publique. L’avantage pour le demandeur était que si le permis déposé se coulait entièrement dans le certificat, il n’était plus nécessaire de remettre le dossier à l’enquête publique. En gros, l’Urban Ruling existait déjà mais de façon plus cadrée et transparente.

Le rapport d’évaluation du CoBAT réalisé par City Tools et déjà cité abordait certes cet outil mais proposait de le supprimer purement et simplement au motif que cette procédure ancienne n’était quasiment plus utilisée et que sa simplification serait pratiquement impossible en raison du principe de stand-still et de la nécessité d’évaluer les incidences dès cette étape (p. 53). Autrement dit, cet aveu confirme que l’Urban Ruling constitue une fuite en avant de l’urbanisme bruxellois suite à l’échec des PAD et selon le désir de nos élus de ne pas se soumettre aux garanties développées par les outils actuels. En effet, le stand-still interdit au législateur de diminuer significativement le niveau de protection précédemment accordé, sauf pour un motif d’intérêt général. Comme la simplification du certificat d’urbanisme serait un recul des garanties démocratiques, elle entraînerait un risque de recours juridique pour violation de ce principe. Mais supprimer le dispositif pour le remplacer par un outil flou de négociation opaque qui se résume en une « note » cosignée par les autorités et remise au propriétaire nous semble néanmoins être un recul démocratique majeur. De plus, ce système semble bel et bien entériner une forme d’urbanisme de la négociation adossé à un objectif de dérogation. Pour ces différentes raisons, l’Urban Ruling tel qu’il est en train d’émerger soulève bien plus d’inquiétudes auprès des associations qu’il ne parvient à apporter de réponses. Des réponses qui semblent encore et toujours adressées à la même question : celle de la rentabilité d’un projet. Est-ce vraiment le rôle des pouvoirs publics de s’assurer de la rentabilité d’un projet au profit de promoteurs immobiliers privés ?

 

Contexte

Crash-test pour l'Urban Ruling dans le quartier Nord

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1. P. Deglume, 'Bruxelles renonce définitivement aux tours dans le quartier européen' in L'Echo, 12 mei 2022.

2. Interview Trends Pascal Smet (Brussels staatssecretaris voor Stedenbouw): 'Ik zal een kader en garanties bieden voor de projectontwikkelaars.'

3. Interview met Benoît Périlleux, 6 februari 2024.

4. Activiteitenverslag BMA 2021, p. 16.

5. Interview met K. Borret op 31 januari 2024.

6. P. Deglume, 'Bruxelles renonce définitivement aux tours dans le quartier européen' in L'Echo, 12 mei 2022.

7. https://bx1.be/categories/news/quartier-europeen-vers-plus-de-mixite/

8. Lees onze kadertekst: Crashtest voor Urban Ruling in de Noordwijk.

9. Interview met K. Borret op 31 januari 2024.

10. Philippe Coulée, 'Le nouveau 'ruling urbanistique' bruxellois risque de faire pire que mieux ...', in Trends, 20 juni 2023.

 

Tout le territoire du quartier Nord est truffé de Plans particuliers d’affectation du sol (PPAS), un outil urbanistique communal permettant de définir l’aménagement du territoire à l’échelle d’un quartier ou de plusieurs îlots. Ces PPAS viennent préciser le Plan Régional d’Affectation du Sol (PRAS) en définissant des affectations détaillées, l’implantation ou encore les gabarits des constructions. Ceci crée un urbanisme par à-coups entraînant un manque de cohérence dans ce quartier qui n’a jamais fait l’objet d’une vision concertée, si ce n’est celle d’y ériger un central business district avec ses huit World Trade Centers totalisant pas moins de 64 tours ! [1]

Outre préciser le PRAS, certains PPAS sont souvent taillés sur mesure pour autoriser les ambitions des promoteurs immobiliers. Les programmes qui y sont développés peuvent être bien plus denses que ce que les cadres réglementaires régionaux permettent, la tour Up Site d’Atenor ou le site Tour & Taxis faisant office de premiers de classe en la matière. Pour le premier, le PPAS Willebroeck longeant le canal et approuvé en 2009 a ouvert une voie royale à la plus haute tour de logements à Bruxelles culminant à 140 mètres de hauteur, remplaçant par la même occasion les anciens entrepôts Delhaize. À Tour & Taxis, nous n’avons pas encore eu la « chance » de découvrir le gros du programme. Mais l’on sait que plus de 100 000 mètres carrés de nouveaux logements et une tour de maximum 150 mètres sont à venir, le tout permis par un PPAS datant de 2017.

Le cas CCN, tout droit sorti du passé

En 2018, le gouvernement régional a chargé Perspective Brussels de développer une vision partagée pour le Territoire Nord, une zone délimitée par la petite ceinture, l’avenue du Port, l’avenue de la Reine et la rue Royale. L’objectif de ce processus était d’identifier les enjeux d’un territoire, volontairement plus large que le quartier Nord, afin d’établir une vision et une stratégie pour son développement. Si un diagnostic a été publié en octobre 2021, nous attendons toujours la vision partagée déterminant la route à suivre pour l’avenir du quartier. À défaut d’en avoir une, les projets publics (Ferraris, CRU 1, PAD Maximilien-Vergote) et privés (ZIN, Livin, CCN, Proximus…) s’enchaînent. Parmi ces projets privés, certains ont fait l’objet de project lines Voir l’article sur l’Urban Ruling p. 10-13 et ont vu leur développement cadré par une décision anticipée en matière d’urbanisme. D’autres semblent être tout droit sortis du passé, comme si les fantômes des années 1970 continuaient de venir hanter le redéveloppement de certains sites.

À peine quelques années plus tard, en juin 2022, une demande de permis d’urbanisme est déposée par les promoteurs privés Atenor et AG Real Estate, pour le réaménagement du site du Centre de communication Nord (CCN) qui accueillait, outre la gare du Nord, une galerie commerçante et les bureaux du service public régional de Bruxelles. On apprend via la presse que après la démolition du monolithe datant du début des années 1980, quatre tours seraient construites sur la dalle existante, rendant enfin visible la façade iconique de la gare du Nord, trop souvent confondue avec le CCN. Ce bâtiment est en soi volumineux mais la programmation du nouveau projet explose tous les records. La superficie plancher totale augmente de 6 %, le bureau passe de 79 000 à 92 000 mètres carrés, on triple presque le commerce (de 3 200 à 8 000 mètres carrés) et 50 000 mètres carrés seront dédiés au logement pour diversifier les fonctions dans le quartier. Le tout dans des bâtiments hauts de vingt à trente étages (les actuelles tours Proximus en comptent vingt-huit) [2].

Mais la réalisation de ce programme démesuré implique une révision du PPAS en vigueur à cet endroit. En effet, celui-ci date de 1967 et n’est, en réalité, même pas conforme avec la situation existante : une bonne moitié de l’emprise du CCN n’est pas reprise dans les plans tandis que le bâtiment culmine à 57 mètres de hauteur alors que le PPAS en vigueur avant sa démolition n’autorisait que 35 mètres ! En novembre 2022, quelques mois seulement après la demande de permis des promoteurs, la commune de Schaerbeek lance une enquête publique pour la révision du PPAS.

L’analyse du dossier est affolante. On y trouve une forme d’apologie du plan Manhattan alors que celui-ci est largement considéré comme une grave erreur urbanistique marquant l’apogée de la bruxellisation, un concept architectural inspiré du Bruxelles des années 1970 et utilisé internationalement pour décrire les excès urbanistiques découlant d’une trop grande proximité entre pouvoirs politiques et promoteurs immobiliers privés. On peut y lire que « la modification du PPAS permettra de maintenir la continuité des alignements du PPAS existant ainsi que de promouvoir de nouveaux alignements qui s’avéreraient nécessaires en vue de conforter l’esprit du plan Manhattan comme ensemble iconique à valoriser au niveau patrimonial ». Plus précisément, à propos de l’îlot CCN qui est entièrement couvert par le nouveau plan, « la modification du PPAS doit permettre de maintenir les grandes hauteurs existantes et les autoriser sur l’îlot CCN dans une idée de continuité et de clarification du tissu ». L’objectif des documents soumis à l’enquête publique est clairement indiquée : créer une mixité fonctionnelle dans le quartier à travers des nouveaux logements en passant par des formes urbaines similaires aux tours avoisinantes. Il faut creuser pour visualiser le scénario imaginé par les pouvoirs publics sur l’îlot CCN. Au beau milieu de l’étude d’incidences, un schéma est proposé, quatre tours allant de 93 à 110 mètres de hauteur sur ce qui aurait pu être le parvis de la gare du Nord [3].

La politique du fait accompli

Si ce scénario semble familier, c’est qu’il l’est bien. Les plans mis à l’enquête publique ressemblent comme deux gouttes d’eau aux bribes d’information publiées lors du dépôt du permis d’urbanisme pour les quatre tours sur l’ancien site CCN quelques mois auparavant. En prenant une publication sur Facebook de Pascal Smet datant d’octobre 2022, avant que le PPAS ne soit mis à l’enquête publique, on pouvait même observer à quoi ressemblerait l’esplanade Bolivar aux pieds des tours[facebook.com].

C’est une chose de représenter virtuellement un espace public à l’avance pour faire rêver les citoyen·nes et les utilisateurs·trices des transformations de leur quartier. C’en est une tout autre de mettre la charrue avant les bœufs d’une telle manière. Pour être clair, les nouveaux propriétaires du CCN ont introduit un permis d’urbanisme pour la construction de quatre tours avant que le cadre réglementaire en vigueur ne les y autorise. Cette opération n’est-elle pas risquée, connaissant la lenteur et la rigidité bien connue des administrations communales lorsqu’elles traitent les permis d’urbanisme ? Probablement, sauf dans le cas où les nouveaux plans ont été pensés de concert entre les acteurs impliqués. La logique est exactement la même pour l’îlot Proximus. Si l’on compare les affectations et les gabarits entre trois documents différents – la project line Proximus, le demande de permis pour le bâtiment Proximus, et le PPAS régulant la zone –, les chiffres coïncident très précisément. Or, non seulement ces documents ont été produits à des années d’intervalle, mais en plus c’est le plus récent d’entre eux, le PPAS, qui a valeur légale. C’est le monde à l’envers, car aucun des deux autres documents n’aurait pu envisager ce type d’affectation avant que le PPAS n’ait été modifié et que ces modifications n’aient été soumises à enquête publique via la procédure de publicité-concertation.

Quels mots avons-nous encore à dire ?

L’étude attentive des documents administratifs disponibles lors de l’enquête publique sur le PPAS révèle également que les décisions entérinées dans les différentes notes et accords préalables ont pu orienter certains des choix jusque dans le rapport d’incidences environnementales. Les documents révèlent en effet le fond des discussions ayant eu lieu entre bureaux chargés de l’étude d’incidences environnementales et le comité d’accompagnement composé de perspective.brussels, Bruxelles Environnement et la commune de Schaerbeek. Étant donné les incidences sur la qualité de vie attendue par le scénario préférentiel de quatre tours, le bureau d’étude a recommandé de « diminuer les superficies prévues sur l’îlot CCN ». Pourtant, ces recommandations n’ont pas pu être suivies par le comité d’accompagnement, car le procès-verbal de la réunion d’accompagnement de projet mentionne que des « choix stratégiques et accords préalables » avaient été pris. C’est-à-dire que les décisions politiques prises entre administrations dans le cadre de notes préalables auraient ici une force contraignante supérieure au rapport d’incidences environnementales produit par un bureau d’étude indépendant. Ce faisant, on sort clairement de l’objectif initial affiché pour l’Urban Ruling, à savoir cadrer les lignes directrices d’un projet et les principales dérogations auxquelles un promoteur pourrait prétendre avant l’achat d’un terrain.

Ce que montre le quartier Nord, éternel laboratoire pour l’urbanisme bruxellois, c’est que les project lines peuvent venir empiéter sur l’indépendance des bureaux d’étude en charge d’objectiver les incidences d’un projet et sur la capacité pour les citoyens et la société civile de remettre en question certains des choix posés au moment de l’enquête publique. Il nous semble essentiel de tirer les leçons de cet exemple avant de généraliser l’usage d’un outil qui, sous couvert d’avancées quant à la spéculation immobilière autour du prix de vente des terrains, entérine le grand retour de l’urbanisme clandestin et de la négociation.

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1. https://www.quartiernord.be/docs/plan_manhattan_livre%201.pdf.

2. Steven Van Garsse, 'Torens en pleinen op sokkel van het oude CCN-gebouw', in BRUZZ, 22.06.2022.

3. BBP nr. 19 Westwijk van het Noordstation, mei 2023.

4. https://www.facebook.com/SmetPascal/posts/652528206241318. 

 

Des enfants qui jouent à côté de leur maison dans une plaine de jeux, d’autres qui se rendent à l’école seul·e·s sans que leurs parents s’inquiètent, des adolescentes qui s’arrêtent dans un espace vert sur le chemin du retour à la maison sans crainte d’être harcelées, pouvoir se soulager dans des toilettes publiques plutôt que se cacher derrière des buissons, faire du vélo plus souvent que seulement durant la journée sans voiture... Voilà la ville dont beaucoup rêvent pour leurs enfants. Un rêve bien loin de la réalité! Malgré sa vitalité et sa jeunesse, Bruxelles n’offre pas un environnement urbain sain, respectueux des droits des enfants. Et pourtant 22% de la population bruxelloise a moins de 18 ans. Aujourd'hui, notre capitale ne parvient pas à offrir un cadre de vie sain à ses jeunes, à être un lieu qui respecte réellement les droits de l'enfant.

Les professionnel·le·s du secteur de l’enfance le constatent, les enfants et les jeunes passent de moins en moins de temps à l’extérieur, ce qui entraîne des conséquences néfastes diverses : délitement des liens sociaux, lourds problèmes de santé physique et mentale liés à la sédentarité, à la pollution de l’air et à l’augmentation du stress, non apprentissage des risques, manque de confiance en soi ....  En bref, elle a un impact majeur sur la santé physique et mentale.

 

Brussel voor en door kinderen

 

J’ai l’impression que je passe mon temps à couper l’élan de vie de mes enfants - à leur gueuler ‘ne courez pas ! Restez près de moi ! Stop !’ C’est fatigant et déplaisant.

Camille, mère de deux enfants,  Sint-Gilles.

 

Plusieurs raisons expliquent pourquoi les enfants et les jeunes deviennent de plus en plus casanier·e·s. En premier lieu, le sentiment d’insécurité sur les routes. En effet, la circulation routière constitue une des raisons principales de la diminution du temps passé par les enfants à l’extérieur et de la perte de leur autonomie. Dans les quartiers denses, les familles sont peu nombreuses à posséder une voiture. L’automobile prend néanmoins une place prépondérante et entre directement en compétition avec les enfants dans l’espace public. C’est le plus souvent dans ces mêmes quartiers que l’on observe une qualité de l’air médiocre voire mauvaise ainsi qu’un manque de lieux extérieurs privatifs (balcon, cour ou jardin), d’espaces publics de qualité, et notamment d’étendues vertes attrayantes pour les enfants et les familles. On le constate donc, l’inadéquation et l’insuffisance de l’espace public à Bruxelles créent des problèmes qui coûtent à la société, particulièrement pour les familles bruxelloises les plus vulnérables socioéconomiquement.

Ces constats vont à l’encontre des droits de l’enfant (particulièrement les articles 3, 6, 12, 13,24 & 31), dont la Convention Internationale a été signée et ratifiée par la Belgique. Or, ces problèmes pourraient être réduits ou même supprimés. La situation actuelle n’est en rien une fatalité, mais une question de choix politiques. Il est de la responsabilité des gouvernements de garantir le droit des enfants à un environnement sain et sûr. Les candidat·e·s aux prochaines élections 2024 doivent s’engager à prendre des mesures concrètes aux niveaux régional et communal et adopter ainsi une posture politique forte en faveur des enfants et des jeunes dans la ville.

 

La ville aux enfants : rendre effectif le droit des enfants à la santé, à la sécurité, et à la participation

Nous, associations de différents secteurs et citoyen·ne·s, enjoignons les autorités publiques à s’atteler à :

  • améliorer l’existant, multiplier et adapter les espaces verts et l’espace public aux besoins des familles, en priorité dans les quartiers en carence, et en remédiant à la trop faible présence des femmes et des filles;
  • développer des infrastructures sécurisantes, agréables et accessibles favorisant une mobilité autonome des enfants et des jeunes et encourageant les déplacements à pied, en poussette, à vélo;
  • réduire l’exposition des enfants aux différentes sources de dangers (notamment liés au trafic automobile et à la pollution atmosphérique);
  • intégrer la participation des enfants et des jeunes aux projets d’aménagement de l’espace public.

L’espace public, s’il est accessible et de qualité, est un levier important pour améliorer la santé, la qualité de vie, le vivre ensemble. Les personnes vulnérables se sentent plus en sécurité avec la présence des familles, créant ainsi un cercle vertueux. Une ville à hauteur d’enfant a donc des bénéfices tant au niveau individuel que collectif et sociétal, car elle devient accueillante pour tout le monde.

C’est pourquoi nous, associations, avons rassemblé en vue des élections nos propositions en faveur d’une ville qui place les enfants et les jeunes en son cœur. Investir pour l’avenir de nos enfants et de nos jeunes, dans des rues sûres, résilientes aux enjeux sanitaires et climatiques: c’est le choix que nous vous proposons.

 

Ce qui lui plaît à vélo, je pense que c’est cette liberté d’être dehors, d’avoir de l’air, de partir tout seul. Je lui dis de circuler dans la cour mais il ne veut pas. Il veut toujours aller loin, sur la route. Je pense que c’est cette idée d’aller loin, de découvrir autre chose.

Jullienne, maman de deux enfants de 2 et 5 ans (étude RIEPP, 2021)

 

* Citations extraites de l'étude ‘Investir l’espace extérieur avec les enfants .- Représentations et pratiques des familles en Fédération Wallonie-Bruxelles. Résultats d’une enquête qualitative menée par le RIEPP.’ 2021

 

Vous pouvez télécharger le manifeste complet ci-dessous.

 

La pollution de l'air à Bruxelles reste inférieure aux normes. 98 % des Bruxellois respirent un air qui ne respecte pas la valeur seuil proposée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) (10 µg/m³ de NO2). À Bruxelles, la pollution de l'air, y compris le dioxyde d'azote (NO2), un gaz irritant, provient principalement (44 %)1 de la circulation. Mais certains endroits de Bruxelles respirent mieux que d'autres. Avec CurieuzenAir, la première enquête citoyenne à grande échelle sur la qualité de l'air, il est apparu clairement que la pollution de l'air est injustement répartie à Bruxelles.

 

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Au-dessus de la limite européenne

Comme le montre la carte, l'air le plus pollué se trouve principalement dans la première couronne de Bruxelles. Cette partie de la carte est principalement colorée en violet, rouge, orange et jaune. Les points rouges et violets indiquent une concentration de 40 µg/m³ ou plus, ce qui est supérieur à la valeur limite européenne. Ainsi, partout où la couleur est rouge ou violette, la valeur limite européenne a été dépassée, ce qui est déjà plusieurs fois supérieur au seuil fixé par l'OMS. Autour de cette première couronne bruxelloise, la carte donne le résultat inverse : essentiellement des points verts et bleus.

Comme vous pouvez le voir ci-dessous, c'est dans la première couronne que le taux de motorisation est le plus faible. Pourtant, c'est là que la qualité de l'air est la plus mauvaise...

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La première couronne de Bruxelles est celle où les gens vivent le plus près les uns des autres et où les transports publics sont les mieux équipés. La forte densité d'occupation permet également des déplacements plus courts (Ermans & Henry, 2022). Cela peut expliquer le faible taux de motorisation.

Doublement puni

Mais si le taux de motorisation y est plus faible, pourquoi la pollution de l'air y est-elle plus importante ? En effet, l'utilisation de la voiture dans la première couronne de Bruxelles a des répercussions plus évidentes sur la qualité de l'air. Lorsque le trafic rejette du dioxyde d'azote, il ne peut pas s'échapper aussi facilement en raison de la densité plus élevée dans le centre de la ville. Les grands immeubles proches les uns des autres peuvent créer des streetcanyons2 et le peu d'espace public rend difficile l'évacuation de la pollution de l'air. De plus, il y a trop peu d'espaces verts (< 20 %) dans les quartiers de la première couronne et du nord-ouest de Bruxelles.