Interview : la planification à Bruxelles, nouvelle approche
Avec la création du Bureau Bruxellois de la Planification et de la Société d’Aménagement Urbain, le gouvernement entame une réforme radicale des services publics chargés de concevoir ou de réaliser des plans. Interview avec leurs directeurs.
Avec la création du Bureau Bruxellois de la Planification et de la Société d’Aménagement Urbain, le gouvernement entame une réforme radicale des services publics chargés de concevoir ou de réaliser des plans. Interview avec leurs directeurs.
Avec la récente constitution du Bureau Bruxellois de la Planification (BBP) et de la Société d’Aménagement Urbain (SAU), le gouvernement entame une réforme radicale des services publics chargés de concevoir ou de réaliser des plans. S’agit-il d’une véritable révolution dans la manière dont nous bâtissons l’avenir de Bruxelles ou en restons-nous au business as usual, seul l’emballage ayant changé ? Bral a interviewé les directeurs respectifs de ces organismes, Christophe Soil et Gilles Delforge.
Messieurs, en quoi consistent donc ce Bureau Bruxellois de la Planification et cette Société d’aménagement urbain ?
Christophe Soil : Le Bureau Bruxellois de la Planification (BBP) est un organisme tout à fait hybride qui se compose grosso modo de deux grandes entités. La première collecte des chiffres et des connaissances sur Bruxelles. La deuxième englobe ce que nous entendons classiquement par planification. Mais à vaste échelle. Par exemple, le Plan Régional de Développement Durable (PRDD), qui concerne l’ensemble de la Région, ou les schémas de développement, qui s’appliquent à des zones relativement vastes comme Schaerbeek-Formation ou la Gare de l’Ouest.
L’intégration des divers services qui s’occupaient de ces domaines (voir infographie) doit aboutir à un meilleur diagnostic et à une planification plus efficace.
Gilles Delforge : De son côté, la Société d’Aménagement Urbain (SAU) est chargée de veiller à ce que ces plans soient effectivement réalisés. Elle constitue la version résolument actualisée de l’ancienne Société d’Acquisition Foncière, la SAF. Celle-ci avait été créée pour servir d’instrument à l’achat de terrains qui avaient soudainement été mis en vente par la SNCB, entre autres le site Josaphat à Schaerbeek/Evere ou le site Delta à Auderghem. Cette fonction immobilière subsiste mais la nouvelle SAU va beaucoup plus loin dans sa mission de bras exécutif du Bureau de Planification. Elle est donc aussi en mesure de s’atteler au développement effectif des sites.
Il y a d’autres opérateurs publics à Bruxelles, notamment citydev.brussels, qui bâtit des logements et aménage des zones industrielles. Quels sont les rapports entre la SAU et ces organismes ?
Gilles Delforge : Nous nous occupons d’abord et avant tout du contexte dans lequel se déroule la construction. Nous coordonnons et cherchons des partenaires et des budgets. Notre objectif premier est que les travaux se fassent. Si d’autres comme citydev.brussels ou des sociétés de logement social s’en chargent, tant mieux ! Nous mettons la main à la pâte uniquement en l’absence de partenaires. Nous gérons également l’assainissement des terrains pollués.
Ce qui frappe, c’est que pendant des années, la demande pour des logements n’a fait que croître et que maintenant, tout le monde craint le départ de l’industrie.
Le plus offrant
Quand le terrain vous appartient, tout est relativement simple. Mais dans le cas contraire, comment convainquez-vous les propriétaires privés ?
Gilles Delforge : La marge de négociation est naturellement plus étroite lorsque le terrain appartient à un tiers, mais la dynamique reste la même quand il s’agit de réaliser un projet. Au fond, toute la question revient dans un cas comme dans l’autre à coordonner le tout. La SAU se positionne alors en point de contact, conserve une vue d’ensemble et surveille le cadre : espace public, énergie, biodiversité, etc. Et puis il y a le maître architecte, car son équipe fait aussi partie du Bureau de Planification. Ils participent au contrôle de la qualité des projets dans les zones stratégiques. Notre champ d’action se limite d’ailleurs à ces zones stratégiques. Et nous avons la chance qu’un pourcentage significatif d’entre elles correspondent à des terrains publics.
Ces terrains publics sont-ils vendus au promoteur immobilier qui en offre le plus ?
Gilles Delforge : Non. Nous entendons préserver autant que faire se peut le caractère public de ces terrains. Des partenaires peuvent alors être impliqués dans leur développement par le biais d’autres droits réels (un bail emphytéotique par exemple).
Compris !
Autre point important : quelle forme prendra la collaboration entre le BBP et la SAU ? La continuité entre la planification et la mise en œuvre se révèle indispensable pour qu’un plan correct ne se dilue pas à cause d’une réalisation médiocre, voire mauvaise. Trop souvent, l’« opérateur » est un organisme de grande taille qui mène sa propre vie et modifie les projets à son goût.
Christophe Soil : Le simple fait d’occuper le même bâtiment nous empêche en partie de travailler chacun de notre côté ou de faire du travail en double. Parallèlement, nous impliquons la SAU dès le début de la planification d’un projet. Histoire de faire des plans un tant soit peu réalistes afin qu’ils puissent ensuite être concrétisés, y compris financièrement. Et inversement : le Bureau fait aussi partie de l’équipe opérationnelle dès que la planification s’achève.
Gilles Delforge : Et en tant qu’exécutants, nous n’allons pas mettre sur pied un service propre à la SAU qui repasserait derrière le Bureau de Planification. Quoi qu’il en soit, des plans doivent régulièrement être adaptés en cours de route. En réalité, la distinction entre « planification » et « mise en œuvre » est très floue. La ville évolue en permanence, ce qui nous impose parfois de modifier nos choix. Les deux services devront en tout cas collaborer en continu.
Avoir de nobles objectifs mais pas d’argent pour les mettre en œuvre, voilà une situation qui ne devrait plus se produire aujourd’hui.
Collaboration obligée
Comment allez-vous travailler, concrètement ? Y aura-t-il par exemple des équipes pour chaque projet ?
Gilles Delforge : Du côté de la SAU, nous devons encore tout mettre en place, mais sous notre casquette de SAF, nous avons déjà acquis pas mal d’expertise dans le cadre du Plan Canal. Pour concrétiser ce plan, nous avons constitué une équipe pour chaque zone, avec un référent et une personne de contact pour le développement de la zone concernée.
Christophe Soil : Je ne suis pas en mesure de vous donner une réponse claire parce que nous devons encore définir notre méthode de travail. N’oubliez pas que notre Bureau vient d’être créé. Mais il me semble logique de penser que nous allons également constituer des équipes de projet.
Le Bureau de Planification regroupe plusieurs autres services. Il possède donc une expertise non négligeable pour monter des équipes de ce genre. Par contre, une véritable équipe de projet ne peut travailler efficacement que si elle intègre aussi des personnes venues d’autres administrations et institutions, entre autres Bruxelles Mobilité ou Bruxelles Environnement. Des accords dans ce sens ont-ils déjà été passés ?
Christophe Soil : Une telle collaboration revêt en effet beaucoup d’importance. Elle est également prévue dans le cadre du Comité́ Régional de Développement Territorial qui doit donner son avis sur les différents projets de planification. Mais il s’agit d’une démarche plutôt formelle qui se déroule au niveau des directeurs de ces administrations. Il vaut mieux en effet que la collaboration soit plus intensive, notamment en associant à l'équipe la personne la plus compétente de chez Bruxelles Mobilité ou Bruxelles Environnement.
La collaboration doit donc aller au-delà de ce qui se fait à l’heure actuelle. Nous voulons dépasser le saucissonnage (le morcellement des compétences, N.D.R.).
Il faut que les différents sous-projets devant être mis à exécution par d’autres services soient budgétés dans les délais afin d’éviter toute pierre d’achoppement, il s’agit d’un point essentiel dans cette démarche. Avoir de nobles objectifs mais pas d’argent pour les mettre en œuvre, voilà une situation qui ne devrait plus se produire aujourd’hui.
Gilles Delforge : Nous devons de toute façon coopérer avec ces organismes pour pouvoir appliquer une politique cohérente. Nous avons aussi intérêt à faire concorder les budgets. Tout le monde gagne à collaborer. Nous créons des occasions pour Bruxelles Environnement comme pour citydev.brussels par exemple. Il faudra instaurer la confiance en adoptant une bonne méthode de travail et en agissant correctement.
Et la participation des riverains ? zie algemene opmerking tussentitels
Reste-t-il de la place pour les remarques des Bruxellois ? Qu’en est-il de la cellule Participation comme celle qui devrait être mise sur pied au sein de l’Agence de Développement Territorial ?[1]
Christophe Soil : Nous sommes d’accord que le citoyen, le Bruxellois, doit être impliqué le plus tôt possible. Ce faisant, nous nous donnons aussi les moyens de mettre à profit des idées ou diagnostics. Mais nous ne savons pas encore si nous allons reprendre l’idée d’un service de participation ni, le cas échéant, comment il fonctionnera au sein de l’organisation. Nous pouvons également travailler avec des spécialistes externes.
Réserver une partie de l’espace urbain aux activités industrielles constitue une fois encore un objectif important à nos yeux. Notre but n’est absolument pas de bâtir des logements partout et à tout prix. Les deux fonctions sont nécessaires. Mais les mentalités ont évolué.
Gilles Delforge : Nous voulons aussi miser davantage sur l’utilisation temporaire de nos sites. Nous espérons tirer des leçons de cette occupation provisoire. Il est intéressant d’observer de quelle manière les personnes exploitent les espaces.
Bonne résolution. Mais nous ne la retrouvons pas dans le projet de réforme de la législation. Et il n’est question de participation ni dans l’élaboration des schémas directeurs ni dans les nouveaux contrats de rénovation urbaine. Il s’agit pourtant des outils que vous allez typiquement utiliser pour la planification des zones prioritaires.
Christophe Soil : Tout ne doit pas nécessairement être légiféré. Je comprends que des garanties soient préférables mais ce n’est pas parce que certains éléments ne sont pas couchés par écrit qu’ils n’existeront pas.
Concentration du pouvoir (idem dito andere tussentitels)
Ce regroupement n’entraîne-t-il pas une trop grande concentration du pouvoir ? Le Bureau de Planification et la SAU ont déjà été qualifiés de bulldozers du ministre-président.
Christophe Soil : Non, il s’agit de deux choses différentes. C’est la volonté de travailler efficacement qui domine. Sans compter que nous sommes soumis à un contrôle démocratique. Chaque plan, schéma directeur ou autre doit être validé par le gouvernement. Toute la réorganisation actuellement en cours est d’ailleurs un projet du gouvernement dans son ensemble.
Gilles Delforge : De notre côté, nous mettons à exécution le plan approuvé par le gouvernement. Celui-ci est par ailleurs représenté au sein de notre Conseil d’Administration pluraliste. L’opposition n’en fait pas partie, mais il en va de même dans les autres organismes régionaux. Le gouvernement doit quant à lui se justifier devant le Parlement.
Une dernière critique fréquemment entendue : Le Plan Canal, l’un des chevaux de bataille de Rudi Vervoort, aurait chassé les entreprises de cette partie de la ville en autorisant l’aménagement de logements dans d’anciennes zones industrielles. Habitat et industrie ne sont pas toujours faciles à concilier. Tandis que la valeur des terrains augmente dès que des logements peuvent y être construits.
Gilles Delforge : Réserver une partie de l’espace urbain aux activités industrielles constitue une fois encore un objectif important à nos yeux. Notre but n’est absolument pas de bâtir des logements partout et à tout prix. Les deux fonctions sont nécessaires. Mais les mentalités ont évolué. Nous constatons par exemple qu’une mixité verticale (superposer industrie et logements, N.D.R.) constitue généralement une mauvaise idée. Par contre, établir un zonage intelligent est probablement possible. Ce point est actuellement à l’étude.
Christophe Soil : Il convient de souligner que ces dernières années, il y a eu beaucoup de pression (notamment de la part de la société civile), il fallait une solution à la crise du logement. Aujourd’hui, c’est la crainte de voir l’industrie s’en aller qui domine. Il s’agit d’une discussion nuancée, mais il est évident que toutes les entreprises ne sont plus souhaitables sur leur lieu actuel d’implantation. Sans compter que certaines créent très peu d’emplois.
Gilles Delforge : Nous sommes conscients du défi posé par le maintien d’activités de production au sein de la ville. Créer ou préserver des emplois — souvent occupés par des personnes peu qualifiées — constitue bel et bien un objectif de première importance.
Messieurs, merci pour cette interview.
[1] Cette agence a été scindée pour intégrer tant le BBP que la SAU. http://www.adt-ato.brussels