Compte rendu de notre soirée de discussion sur la « black box » de l'urbanisme bruxellois
Il n’est pas aisé de savoir ce qui se trame derrière la vie administrative d’un (grand) projet urbanistique. L’article co-rédigé avec IEB à propos des project lines (ou l’urban ruling) était une tentative de mieux comprendre les tenants et aboutissants de ce nouvel outil urbanistique. Nous estimions ensuite important de rentrer en dialogue avec les personnes s’y connaissant le mieux. C'est pourquoi le BRAL, en collaboration avec l'IEB, a organisé une soirée d'information et de discussion sur le sujet le 15 mai.
Les project lines ? Les réunions de projet ? La soirée avait pour but de démystifier ces concepts dont on entend parler via la presse mais qui sont rarement traités dans le débat public. Nous avons demandé aux intervenants de partager la genèse des outils, d’expliquer leur fonctionnement et de donner un commentaire plus général ou des pistes d’améliorations.
Pour l’occasion, nous accueillions Kristiaan Borret, Bouwmeester Maitre Architecte (BMA) bruxellois et porteur des project lines et François Timmermans, Premier attaché et coordinateur à la Direction de l’Urbanisme d’Urban où il est chargé des réunions de projet. Benoit Périlleux, président de la Commission régionale de développement (CRD) et présent à titre individuel était invité pour nous faire part de son expérience et ses retours en la matière.
Project lines / Urban ruling
Genèse
La nouvelle décision en matière d’urbanisme est à présent connue sous deux noms, l’urban ruling et les project lines. Le BMA préfère cette dernière car l’Urban Ruling évoque le fiscal ruling, qu’il décrit comme une manière « propre » de faire de la fraude fiscale.
Nous sommes aujourd’hui face à une atomisation de la consultation entre les promoteurs immobiliers et les instances publiques. Il est impératif d’éviter le shopping entre les administrations et le gouvernement. Trop souvent, ces échanges se passent de manière informelle au téléphone ou au restaurant alors que ces rencontres devraient avoir lieu dans des salles de réunions. Pour ce faire, les autorités doivent prendre les devants et atteindre un consensus sur leurs visions pour les projets en question. Ce n’est que de cette manière-là qu’on atteindrait une bonne gouvernance formelle sur les grands projets.
La « black box » de l’urbanisme n’a jamais été aussi blanche qu’aujourd’hui.
- Kristiaan Borret, BMA
Fonctionnement
Les discussions autour des project lines se déroulent en amont d’une vente immobilière. L’idée est de responsabiliser le propriétaire et éviter qu’il ne vende son bâtiment au candidat acquéreur le plus offrant. Cette note esquisse un cadre de développement acceptable et prend compte les autres cadres stratégiques et réglementaires en vigueur. Ce sont les mêmes autorités se trouvant autour de la table des Réunions de projet qui valident cette note de vision pour le redéveloppement d’un site.
Si cette décision anticipée en matière d’urbanisme permet en règle générale de revoir les ambitions du vendeur à la baisse, elle reste à caractère indicatif comme elle n’a pas de fond juridique. Pour que ça marche, les autorités autour de la table doivent porter collectivement la note. Cela devient alors plus compliqué pour le candidat acquéreur et le vendeur d’ignorer ce qui se trouve dans les project lines.
Selon le BMA, les candidats acquéreurs apprécient en général cette démarche puisqu’ils obtiennent de la clarté sur ce qui est possible (ou non).
Commentaires généraux et pistes d'amélioration
- Les instances publiques doivent se mettre d’accord sur le contenu de la note. Elle doit également uniquement inclure les grandes lignes. Certaines instances veulent parfois tout y mettre alors que ce n’est pas le but de remplacer les PPAS.
- Au niveau de la transparence, il est important que les instances publiques aient également l’occasion de se rencontrer entre elles, sans société civile ou riverains. Il faut par contre être en mesure de se justifier en tant que pouvoir public. Le BMA ne voit pas spécialement de participation pendant les project lines ou les réunions de projet. La participation doit être plus généralement améliorée et avancée lors d’une éventuelle réforme des mesures particulières de publicité.
- Il serait techniquement impossible d’organiser des réunions participatives en amont des project lines étant donné qu’il n’y a pas de porteur de projet mais uniquement des candidats acquéreurs.
- Kristiaan Borret estime que la « black box » de l’urbanisme n’a jamais été aussi blanche qu’aujourd’hui. Les project lines ont lieu avant la vente, les réunions de projet avant l’octroi du permis. Ce qui se déroulait en coulisses avant se passe actuellement dans des réunions avec un PV officiel.
Réunions de projet
Genèse
Les contacts au préalable entre les porteurs de projets et les administrations ont toujours été fréquents mais peu organisés et cadrés. Ceux-ci se faisaient de manière informelle et une grande différence existait en fonction des communes et des administrations concernées.
Lors de la dernière réforme du CoBAT en 2017, une volonté de clarifier et formaliser ces contacts s’est traduite par un article (n° 188). Une circulaire de 2020 est venue préciser l’article et définit comment les réunions doivent s’organiser.
Fonctionnement
Tout demandeur de permis peut solliciter une réunion de projet. C’est Urban.brussels qui décide d’accepter la demande ou de la renvoyer aux communes. Les premières réunions de projet ont eu lieu pendant le COVID et le processus était compliqué avec les réunions en ligne. Chaque réunion dure 1h15 et le PV est envoyé au porteur de projet par après. Il y a généralement sept ou huit réunions par projet et toujours le mercredi et le vendredi, quand les communes ont moins de commissions de concertation.
Commentaires généraux
Au début il n’y avait pas de PV. Comme la Région devait se prononcer sur les projets, cela rendait les discussions ayant parfois lieu plusieurs mois plus tard compliquées. Il y avait des demandes de tous les côtés pour rédiger des PV. Le grand public peut à présent obtenir les PV sur demande. Par contre, aucune publication généralisée sur le site web d’Urban.brussels n’est à l’agenda.
L’instruction d’un permis devient de plus en plus complexe et voici certains points d’attention pour les réunions de projet.
- Le délai de dix jours pour se prononcer et donner son avis sur un projet est beaucoup trop court. Alors que l’instruction d’un permis dure plus d’un an.
- Il existe énormément de divergences entre les administrations et très peu de souplesse dans les discussions.
- Certains architectes ou porteurs de projet veulent co-dessiner le projet. Quelles sont leurs attentes exactes lors d’une réunion de projet ?
- Les réunions de projet requièrent beaucoup plus de professionnalisme de la part des administrations.
- Il manque un corpus en fonction du lieu – ce ne sont pas les mêmes recommandations en fonction de la commune pour un bâtiment ou un projet similaire.
- Qu’en pensent les riverains ? Ce serait intéressant de le savoir plus tôt. À Bruxelles on avait l’enquête publique sur le cahier de charges qui était très intéressant à ce sujet. En Wallonie les réunions intermédiaires de projet (RIP) ont pour but de :
- « permettre à l'auteur de projet de présenter son projet
- permettre au public de s'informer et d'émettre ses observations et suggestions concernant le projet
- mettre en évidence des points particuliers qui pourraient être abordés dans l'étude d'incidences
- présenter des alternatives pouvant raisonnablement être envisagées par le demandeur afin qu'il en soit tenu compte lors de la réalisation de l'étude d'incidences » (extrait de https://memoire-inondations.wallonie.be/)
- La complexité du traitement de permis d’urbanisme requiert des cadres réglementaires clairs, hiérarchiques, lisibles et complets. Autant les administrations que les porteurs de projet en sont demandeurs.
Remise en perspective par Benoit Périlleux
La difficulté pour les autorités est de devoir continuellement travailler dans l’urgence. Faire la balance entre les enjeux immédiats et plus longs termes n’est pas évident. Les Plans Particuliers d’Aménagement permettent d’esquisser une vision à plus long terme mais cela prend des lustres à rédiger.
Il est essentiel à Bruxelles de sortir des droits acquis des développeurs. Les project lines et les réunions de projet sont loin d’être le retour de l’urbanisme clandestin, loin de là. Le bon aménagement des lieux (BAL) permet aux administrations et gouvernements d’aller au-delà des règles, ce qui n’est pas le cas partout. Mr Périlleux estime qu’il est légitime que les autorités poursuivent des objectifs qui dépassent parfois les cadres posés.
La démocratie urbaine est sujette à énormément de discussions et demande plus de débats publics. Des débats de fond doivent être lancés sur certains sujets, par exemple, « on ne construit plus en intérieur d’ilot ». Que signifie précisément cette mesure qui est tombé en rien ?
Avant de réfléchir au niveau réglementaire, une première chose serait d’avoir des lignes directrices qui ont fait l’objet d’un débat public. Cela permettra de cadrer les réformes nécessaires à plusieurs niveaux.
Quel est encore la place des citoyens et des associations en bout de course ?
- Le BRAL
Réflexions du BRAL
Partir à la découverte de ce qui se cache derrière la « black box » a permis aux citoyens et aux experts d’échanger sur un pied d’égalité. Pourtant, il régnait très clairement une certaine lourdeur par moments. Les cadres réglementaires en vigueur n’inspirent plus confiance et la culture de la dérogation est encore fortement présente à Bruxelles. Les nombreuses grandes réformes lancées pendant la dernière législature n’ont pas toutes abouties et ne nous auraient pas spécialement protégé des dérives dénoncées depuis des décennies à Bruxelles.
Au niveau de la transparence, nous estimons qu’un pas important est occupé à se faire à travers la formalisation de rencontres qui se déroulaient auparavent dans les coulisses. La tenue et la publication de PV est également une manière de réduire les fantasmes et les frustrations sur ces moments où le citoyen n’est pas convié.
Cependant, ces consultations officielles organisées à l'avance par le pouvoir public se succèdent. Les project lines, les concours et les réunions de projet sont des moments où des décisions sont prise loin de toute participation citoyenne. Quel est encore la place des citoyens et des associations en bout de course lors de la tenue de l’enquête publique et de la commission de concertation ? La réforme à venir du CoBAT doit se pencher sur cette question cruciale. Tout en préservant les mesures particulières de publicité traditionnelle en bout de course, entendre et tenir compte l’avis de la société civile fait partie du renforcement de la démocratie urbaine bruxelloise.