Une histoire du mouvement citoyen en faveur de la qualité de l’air à Bruxelles
Le 18 mars, le BRAL et ses partenaires (UA, ULB, Bruzz, Le Soir et De Standaard, Bruxelles Environnement et Bloomberg Foundation) ont présenté les résultats de CurieuzenAir, la plus grande recherche citoyenne sur la qualité de l’air organisé par notre mouvement à ce jour. Mais quand et comment la qualité de l’air est-elle devenue un motif de lutte pour le BRAL et par extension la population bruxelloise ?
Mutinerie à Heembeek
La qualité de l’air est un enjeu important pour le BRAL depuis des années déjà. Nous avons fait nos premiers pas dans ce domaine à l’arrivée de l’incinérateur à Neder-Over-Heembeek.
Nous sommes alors en 1985. L’incinérateur doit brûler tout ce dont la population ne veut plus. En l’absence de filtres, des flocons nocifs tombent en tourbillonnant sur Neder-Over-Heembeek. En 1989, la Coordination sociale Heembeek Mutsaard, le KAV, la BGJG, le KBG, le Chiro, la maison des jeunes De Klink aidés du Bond Beter Leefmilieu et du BRAL réalisent une affiche « Stop de vervuiling! » (Halte à la pollution !, photo) à coller aux fenêtres et nous organisons un débat. Figure emblématique de Neder-over-Hembeek, Jean-Pol Van Steenberghe (qui reste à ce jour un membre très apprécié du conseil administratif du BRAL) rédige pour le magazine « Uilenspiegel » une série d’articles destinés à avertir les Heembeekois et Heembeekoises des dangers de cette pollution causée par l’incinération, notamment la libération de chlorure d’hydrogène. « Sortez votre poubelle à Uccle et votre problème est résolu. Alors qu’il ne fait que commencer pour la population de Heembeek. » Précisons qu’à l’époque, l’IBGE, l’actuel Bruxelles Environnement, a entre autres organismes approuvé cette politique et que le surnom du ministre de l’Environnement Didier Gosuin était le « ministre bruxellois des promesses environnementales ». Nous revenons donc de loin.
C’est la mutinerie organisée à Heembeek par le Werkgroep Leefmilieu Heembeek (membre officiel du BRAL) et autres « complices » qui provoque un retournement de situation : un spectacle sur une péniche sur le canal, une pêche à la pollution avec des seaux d’eau suivie d’un séchage et d’un envoi à l’administration, des vidéos filmées de nuit au parc à conteneurs, des protestations avec des pancartes aux slogans percutants contre les camions qui transportent des déchets non couverts (avec un Heembeekois célèbre, pour ceux et celles qui le reconnaissent), des compteurs de fabrication maison pour mesurer la pollution, etc. You name it, they did it. Leurs actions font la une des journaux presque chaque semaine. Et ça marche ! Le filtre deNOx qui empêche les oxydes d’azote de s’échapper dans l’air est installé, et puis il y a les limites européennes qui doivent petit à petit commencer à être respectées.
Action en justice contre les pics d’ozone
Avant 1999, nous rédigeons déjà des communiqués de presse sur le dépassement des limites relatives aux particules fines. À l’été 2000, le BRAL et IEB, deux mouvements urbains, intentent une action en justice contre les gouvernements bruxellois et fédéral en raison des pics d’ozone à Bruxelles. À l’époque, nous nous prévalons de l’obligation pour le gouvernement de protéger la santé de la population comme fondement juridique (à comparer au fondement du Clean Air Case plus bas). Nous perdons cette action en justice, car elle est déclarée irrecevable pour des raisons principalement procédurales. Mais elle nous offre malgré tout l’occasion de politiser la pollution de l’air : en effet, le juge ne conclut pas que le fond de l’affaire, l’urgence d’agir contre la pollution de l’air, est non pertinent. Les responsables politiques reprennent à leur tour certaines des mesures proposées.[1]
En 2005, l’Union européenne nous impose une valeur maximale pour les particules fines. Extrait du rapport annuel du BRAL de 2006 :
« Dès la première année, nous dépassons allègrement ce plafond. Et voici le pire : Bruxelles et la Belgique ont peu de plans, voire aucun, pour faire baisser la concentration en particules fines. Des démarches prudentes destinées à promouvoir les transports en commun ou le vélo sont utiles mais insuffisantes. Même l’administration procède à un calcul détaillé dont il ressort que ces mesures n’auront que peu d’effet sur la qualité de l’air. Mais personne n’ose toucher au principe roi du tout-à-l’auto. C’est donc le BRAL qui s’y colle. »
Nous rédigeons alors un plan complet pour la qualité de l’air en collaboration avec notre organisation sœur, Inter-Environnement Bruxelles. Nous présentons les dix points qui le composent à la radio et lors d’un débat sur TV Brussel, puis nous nous joignons aux travaux de réflexion pour la rédaction d’un plan d’urgence. « Eh bien, nous pensons principalement à un "plan d’urgence structurel". »
En 2006, nous siégeons également au sein du groupe de pilotage du VIBE (Vlaams Instituut voor Bio-Ecologisch Bouwen) et réfléchissons à un instrument pour mesurer la qualité de l’air à l’intérieur des logements.
Dans les années qui suivent, le sujet gagne toujours plus en importance. En 2007, nous dénonçons le fait que les concentrations en particules fines ne baissent plus. Chaque année, nous profitons du Dimanche sans voiture et de la Semaine de la mobilité pour organiser des actions. Nous saisissons également toutes les occasions offertes par l’actualité, notamment le dieselgate (en 2015 avec une piqûre de rappel 3 ans plus tard, en 2018, sous la forme d’un gâteau d’anniversaire pour la FEBIAC) et les salons de l’auto (entre autres en 2009, 2011, 2020, 2022).
En 2010, nous menons des actions en faveur d’une meilleure qualité de l’air, dont une action ludique avec des aspirateurs pour exiger la mise en œuvre de l’indispensable changement modal et une réduction de la pression automobile. Plus de 10 ans ont passé et nous frappons encore sur le même clou.
En 2010 toujours, la Région de Bruxelles-Capitale annonce un premier plan en cas de pic de pollution. Le BRAL réagit, la politique est beaucoup trop laxiste et applique des seuils nettement plus hauts que la valeur cible européenne. Aujourd’hui, ces valeurs sont à nouveau au cœur du débat. L’Europe va-t-elle reprendre à son compte les normes de l’OMS ? Alors que nous affinons nos connaissances sur l’impact de la qualité de l’air sur notre santé, nous devons également nous y adapter.
En 2015, le BRAL noue un partenariat avec Bruxelles Environnement. Le projet est baptisé ExpAIR. Il va évoluer quelques années plus tard en une vaste campagne de mesure sur tout le territoire bruxellois. À l’époque, il s’agit de la première expérience du BRAL dans le domaine des sciences participatives et le projet se limite au boulevard Anspach. Le BRAL recrute des volontaires et leur demande d’arpenter le boulevard à différents moments harnachés d’un appareil mesurant le black carbon (particules de suie). Bruxelles Environnement et le BRAL entendent ainsi évaluer l’impact du piétonnier sur la qualité de l’air. Nous présentons les résultats de cette recherche en octobre 2016 au Beursschouwburg, pour le lancement de la campagne de mesure de plus grande ampleur.
Clean Air BXL : une action en justice menée par des citoyens et citoyennes
Dans l’intervalle, un premier mouvement citoyen en faveur de la qualité de l’air voit le jour. En 2015, Karin De Schepper remarque que la pollution commence à lui jouer des tours lorsqu’elle se déplace à vélo. Avec d’autres personnes, notamment Lies Craeynest, elle décide de lancer une action baptisée Schone Lucht Bruxsel Air Propre. Plus tard, cette action sera mieux connue sous le nom de Clean Air BXL. Le collectif organise des actions ludiques pour tenter de faire enfin figurer la question à l’ordre du jour politique. Il se retrouve notamment devant le parlement pour servir de l’eau polluée aux responsables politiques par comparaison avec l’air dont la pollution est invisible. Vous ne boiriez jamais un verre d’eau polluée, alors pourquoi tolérez-vous le fait que la population bruxelloise doive respirer de l’air pollué ? BRAL signe avec le collectif une lettre ouverte en 2015 et en décembre, nous manifestons ensemble devant les ministres de l’environnement de l’UE.
Le plan Air Climat Énergie (PACE) de la Région de Bruxelles-Capitale (RBC) et les préparatifs de la COP21 de 2015 à Paris sont pour le collectif l’occasion d’insister sur l’importance de mesures susceptibles d’améliorer la qualité de l’air. Clean Air BXL lance une pétition pour exiger plus d’ambition dans ce dossier. La pétition mise en ligne au milieu des grandes vacances de 2015 et soutenue par le BRAL récolte rapidement 10 000 signatures. La même année, Clean Air BXL effectue également des mesures. Mais à cette époque, le thème n’intéresse absolument pas le monde politique. Il est glissé sous le tapis, comme en témoigne la formule historique du ministre Picqué : « En Chine, c’est bien pire. »
Le collectif se heurtant à ce mur de mauvaise volonté décide en 2016 d’insuffler un nouveau souffle à son projet initial : citer le gouvernement devant un juge pour cause de manquement. Sur le conseil du BRAL, il demande à Client Earth, un cabinet d’avocats qui se bat en faveur d’un monde plus sain et plus résilient face au changement climatique, d’intenter avec lui une action en justice contre la région bruxelloise. Le procès se compose de deux volets. Le fondement juridique est le non-respect par Bruxelles de la législation européenne. Le collectif et le cabinet d’avocats contestent la justesse des mesures de la qualité de l’air, puisque le gouvernement n’en a effectué aucune dans les lieux les plus pollués de Bruxelles. D’autre part, ils remettent en question le Code bruxellois Air Climat Énergie (le fameux PACE) parce qu’il ne respecte pas la directive européenne sur la qualité de l’air. Aux yeux de Clean Air BXL, le PACE de l’époque est une sorte de menu à la carte sans budget, sans responsabilités et sans engagements. Bref, un zéro pointé.
L’action en justice semble enfin pousser le monde politique à prendre la question au sérieux. L’action passe du tribunal bruxellois à l’Europe et retour. Le tribunal de première instance finit par donner raison à Clean Air BXL : toutes les stations de mesure à Bruxelles doivent répondre aux normes européennes. Le fait que les moyennes de ces stations sur l’ensemble du territoire respectent la norme ne suffit pas. Client Earth démontre que l’infraction dans une seule station de mesure (Trône en l’occurrence) prouve la nécessité d’un plan politique avec des objectifs concrets. La Cour européenne confirme l’interprétation de Client Earth un an plus tard, créant ainsi un précédent. Elle conclut en 2019 : « Le respect des valeurs limites en matière de pollution de l’air doit être contrôlé dans des stations de mesures où l’exposition de la population à la pollution est la plus élevée, et pas sur la base d’une moyenne sur une zone » (traduction non officielle).
Faisons maintenant un bond dans le temps pour nous retrouver au début de l’année 2021. Lors d’une deuxième audience qui suit ce jugement, le tribunal bruxellois de première instance n’est pas en mesure de confirmer l’infraction. La valeur annuelle de la station de mesure Trône est en effet passée sous la norme européenne. Les valeurs plus élevées enregistrées dans la station de mesure Rue de la Loi ne peuvent malheureusement pas être prises en compte, car cette station n’est pas homologuée (entérinée). Dans son jugement, le tribunal impose dès lors à la RBC d’installer une station de mesure dans les endroits les plus pollués. À ce jour, ces stations n’ont toujours pas vu le jour. Si l’action en justice fait bouger les choses, Clean Air éprouve néanmoins une certaine déception à constater que l’aspect social est trop souvent oublié dans les mesures politiques. Le collectif espère que CurieuzenAir pourra à nouveau avoir un impact afin d’orienter la politique dans la bonne direction.
« J’espère que des questions seront adressées aux politiques, que prévoyez-vous de faire ? Et en gardant le contexte social de Bruxelles à l’esprit. » - Karin Deschepper, Clean Air Brussels
Mouvements parallèles du BRAL
Clean Air BXL représente la première grande prise de conscience de la qualité de l’air dans notre capitale. Le projet lance un mouvement citoyen de vaste ampleur. Lies et Karin soulignent également l’importance des événements parallèles. Grâce à eux, le monde politique ne pouvait plus se rire de leurs demandes.
Le BRAL a soutenu la demande des collectifs citoyens en les aidant à mesurer la qualité de l’air. ExpAIR découle de l’expérience menée dans le piétonnier (voir plus haut). Avec Bruxelles Environnement, nous voulions mesurer la qualité de l’air sur l’ensemble du territoire bruxellois. Des groupes de personnes ont à nouveau accroché à leur ceinture des appareils destinés à mesurer le black carbon et ont marché, pédalé ou roulé dans toute la ville. Citons notamment la collaboration avec le EU Cycling Group. Un groupe de travailleuses et travailleurs du quartier européen a commencé à effectuer des mesures lors de leurs déplacements domicile-travail afin d’évaluer la situation dans la zone entre Schuman et Loi. Ils et elles ont collecté des données pour brosser un tableau détaillé de la qualité de l’air dans la capitale. Quelle est-elle dans chaque rue ? Et quel effet a-t-elle sur la ville dans son ensemble ?
Cette campagne aboutit en 2017 au rapport ExpAir de Bruxelles Environnement.
Le BRAL ne s’est pas contenté de mesurer. Le projet a aussi été l’occasion de réunir des groupes, de s’immerger plus en détail dans cette matière afin d’acquérir des connaissances et de mobiliser la population en faveur de la qualité de l’air.
Bruxsel’Air
L’un de ces groupes allait évoluer jusqu’à devenir un deuxième vaste mouvement citoyen en faveur d’une meilleure qualité de l’air à Bruxelles : Bruxsel’Air. Bruxsel’Air voit le jour lorsque Benjamin François et Lucas Demeulenaere commencent à se poser des questions sur la pollution aérienne. Ils discutent avec un professeur norvégien spécialiste des mesures mais il apparaît à ce moment qu’il est très compliqué d’en effectuer dans la réalité. Grâce au BRAL, déjà fortement sensibilisé à la question, ils rencontrent d’autres personnes qui partagent leurs points de vue. Parallèlement, ils ressentent aussi le besoin d’agir. En février 2017, ils mènent leur première action : ils posent des masques sur quelque 400 statues dans toute la ville et organisent une campagne de communication à vaste échelle. En juin 2017 suit une parade de poussettes. Avec, dans les coulisses, les membres du BRAL pour donner un coup de main en cas de besoin.
Ils démarrent ensuite leur lobbying et interpellent les différents niveaux politiques. Ils comprennent vite que la prise de conscience est encore très faible parmi les politiques, ce qu’avait déjà montré Clean Air BLX. Maggie De Block leur répond même que « la qualité de l’air n’est pas un problème de santé. » Le jour du verdict dans l’affaire de Clean Air BXL, ils mènent une action devant le palais de justice. Plusieurs personnes forment ensemble les mots « clean air now » avec leurs smartphones et leurs briquets, le tout filmé par un drone. Ils organisent également un festival sur la qualité de l’air, Révolution’Air. Leur dernière action, c’est l’apéro de la rue de la Loi en 2019. Benjamin estime que le résultat principal de leur travail est la sensibilisation à la qualité de l’air et son ajout à l’agenda politique. Ce qui est à prendre au pied de la lettre : en 2018, Bruxsel’Air, le BRAL, Greenpeace, IEW, stRaten-generaal et Ademloos sont invités au Sénat. Devant l’assemblée, nous prononçons un plaidoyer enflammé en faveur d’un Comité interministériel pour la qualité de l’air, car celle-ci transcende les frontières de la politique belge. Le rapport du Sénat est consultable ici.
“Tu peux pas être contre la qualité de l’air,” - Benjamin François, Bruxsel’AIR
Revenons aux résultats du projet ExpAIR. Outre le groupe de Bruxsel’Air, il y a aussi le chouchougroep, dans le cadre duquel le BRAL soulève le problème de la qualité de l’air au sein de la population et dans les quartiers où l’impact sur la santé est le plus lourd. Pour découvrir le déroulement des mesures, n’hésitez pas à lire le témoignage de Habiba. Dans un premier temps, nous nous concentrons sur les Marolles et Anneessens par le biais de maisons médicales et de maisons de quartier.
Ces premières expériences poussent le BRAL à poursuivre sur cette voie. Les mesures du black carbon se passent bien, mais les possibilités d’inciter d’autres personnes à collecter des connaissances sont restreintes. Le protocole de Bruxelles Environnement est compliqué, les appareils sont chers et disponibles en nombre limité, ce qui laisse peu d’opportunités à la population d’effectuer ses propres recherches.
Le BRAL décide alors de mesurer lui-même les particules fines dans le cadre d’un autre projet, AirCasting, en partenariat avec Cosmopolis (VUB), qui s’inscrit dans une recherche-action européenne, SmarterLabs. Cette aventure nous permet d’explorer en profondeur toute la puissance de la science citoyenne pendant 3 ans (2016-2019). Nous décidons d’utiliser l’AirBeam de HabitatMap, une ONG new-yorkaise. Les appareils sont peut-être moins fiables, mais grâce à eux, tout part du vécu et du ressenti des citoyennes et citoyens. Faciles d’emploi avec une application sur un smartphone, ils titillent aussi la curiosité de la population. De nombreuses connaissances sont diffusées par la cocréation, la recherche et l’action. Visionnez les vidéos de quelques personnes ayant participé au projet pour comprendre comment la prise de mesures a changé leur vie.
Nous aussi, nous avons apporté notre contribution. Ces projets de mesure de la qualité de l’air ont souligné la nécessité des connaissances. Elles sont indispensables pour pouvoir agir. En 2017, le BRAL décide dès lors de réunir plusieurs sources dans son catalogue « Qualité de l’air. Savoir pour agir ». Le BRAL présente sa méthode de travail dans sa publication « Citizen science. Collective knowledge empowers » de 2019.
«Explique-moi, j’oublie. Montre-moi, je retiens. Offre-moi l’expérience, je comprends,» - Habiba (dans la publication du BRAL « Citizen Science »)
Grâce à tout le savoir accumulé, les citoyens et citoyennes parviennent à peser sur le débat politique.
En 2018, nous mettons en œuvre notre concept novateur, le « citizen lobby ». Une cinquantaine de personnes rencontrent une vingtaine de parlementaires pour discuter de la qualité de l’air. Nous les réunissons en trois phases. La première consiste en un speed dating : qui parmi les politiciens et politiciennes pourra séduire les personnes présentes ? À une deuxième phase, les citoyennes et citoyens se posent en coachs des politiques. Nous obtenons toute une gamme de mesures envisageables. Les politiques en choisissent une et la mettent en œuvre, avec l’aide des expert·e·s-citoyen·ne·s. Le parlement, qui accueille souvent les chamailleries des partis politiques, devient ainsi un lieu de dialogue entre la société civile et le monde politique, au-delà des clivages partisans. Tout ce qui précède constitue une bonne préparation à l’étape 3, une évaluation publique qui se tient en novembre 2018.
Pour Liévin Chemin, ex-collaborateur du BRAL, ces projets démontrent toute la force de la cocréation.
« Ils nous ont donné l’occasion de concevoir une méthode pour réagir, pour mobiliser, pour problématiser la santé et la qualité de l’air, pour aller beaucoup plus loin que la simple problématisation de la circulation automobile. » Liévin Chemin – ex-collaborateur du BRAL
Le mouvement citoyen s’étend : la naissance de Filter Café Filtré
En mars 2018, « Pano » diffuse un reportage sur la qualité de l’air dans les écoles belges dans le cadre d’un projet de Greenpeace « Mon air, mon école », pour lequel BRAL entre en contact avec les écoles bruxelloises et collabore à la rédaction du rapport.
Quelques parents d’enfants qui fréquentent l’école primaire Maria-Boodschap (l’une des 222 écoles étudiées) décident spontanément de mener une action et de fermer la rue le lendemain matin. Les protestations n’en restent là : dans les mois qui suivent, pas moins de 170 établissements participent à des actions ludiques le vendredi matin. Le mouvement citoyen Filter Café Filtré était né.
Filter Café Filtré entend agir mais aussi concevoir des solutions concrètes et des visions spatiales pour l’avenir par le biais de la recherche en design et les proposer aux politiques et aux habitantes et habitants. Le premier atelier « Air for Schools » se tient en juin 2018 et Filter Café Filtré Atelier (FCF-a) voit le jour. FCF-a estime que l’amélioration de la qualité de l’air doit être mise en lien avec une multitude de thèmes comme la mobilité, des espaces adaptés aux enfants, des villes vivables, la sécurité routière, l’urbanisme, etc. Elle juge que la clé de tout ceci se trouve dans la rue et lui porte donc un intérêt tout particulier.
FCF-a mise énormément sur la représentation. Des ateliers permettent de créer des plans qui montrent ce qui est possible. La zone du canal, l’avenue Charles-Quint et la barrière de Saint-Gilles bénéficient ainsi d’une nouvelle vision pour leur avenir. Mais le FCF-a ne se contente pas de faire des plans. Il met en œuvre l’urbanisme tactique pour que la population puisse voir et sentir dans la réalité ce qu’implique une nouvelle fonction de l’espace public. À l’été 2020, alors que les besoins en espaces publics augmentent en raison du confinement, l’ASBL lance l’expérience de la rue d’été avec son projet « rue PICARD straat ». L’année suivante, elle organise OpenStreets21, une collaboration avec des maisons de la culture bruxelloises et Cultureghem, qui fait entrer l’atelier d’imagination mais aussi la culture et la cuisine en commun dans sept rues d’été de la capitale. Il faut pouvoir éprouver le potentiel de la rue pour permettre le changement. Une bonne qualité de l’air reste le moteur de toutes les actions de Filter Café Filtré Atelier.
En 2020 et 2021, Filter Café Filtré, Heroes for Zero et le BRAL profitent des États généraux pour la sécurité routière pour créer « Beyond Vision Zero ». Sous le nom « L’Autre Atelier », ces trois collectifs collaborent pour organiser une série de conférences données par des spécialistes du monde entier, des marches boots on the ground et un atelier cocréatif. Il en résulte une publication qui regroupe des propositions concrètes pour une ville vivable et durable où règne la sécurité routière. Nous comptons bien poursuivre sur notre lancée en 2022. Suite au prochain épisode !
« Nous allons continuer de taper sur le même clou, le plus possible, jusqu’à ce qu’il y ait un changement effectif » Lotte Luyckx – Filter Café Filtré
En 2019, le BRAL organise des États généraux de l’air. Une conférence scientifique, un Airckathon, une Kidical Mass, des actions Filter Café Filtré, des présentations et des débats avec des collectifs citoyens, un débat politique, la cerise sur le gâteau d’une année de citizen lobby… Les premiers États généraux de l’air ont été tout cela à la fois. Mais ils ont surtout envoyé un signal fort : la population, la communauté scientifique, les intervenants et intervenantes de terrain et les responsables politiques veulent penser notre ville autrement. Pour sa qualité de vie et notre santé. Si les États généraux poursuivaient une ambition globale, c’était de confirmer l’intérêt porté à la qualité de l’air (un mois avant les élections). Un débat politique constituait dès lors la conclusion parfaite de ces deux journées. À l’occasion de ces séances, nous avons remarqué que toutes les parties comprennent l’importance d’une bonne qualité de l’air et y voient aussi l’un des grands défis à relever lors de la législature suivante. Enfin !
Chercheurs d’air
Les chercheurs d’Air, un projet de Bruxsel’Air, voir le jour en 2019. Le collectif met d’emblée la pression sur les politiques par des communiqués de presse et des messages sur les réseaux sociaux, qui sont parfois partagés par le BRAL. Fort de l’expérience acquise avec Bruxsel’Air, il sait que la qualité de l’air préoccupe la population et qu’il faut la mesurer.
Les chercheurs d’air mesurent la qualité de l’air en 2020-2021. Une année durant, le collectif quantifie le NO2 sur quelque 134 sites de la région, contrairement au projet CurieuzenAir du BRAL et de ses partenaires qui calcule le taux de NO2 pendant 1 mois sur près de 3000 sites. Les données récoltées par les deux projets sont donc complémentaires. À l’instar de Filter Café Filtré, Les chercheurs d’air vont se concentrer sur les rues.
« Notre projet était plutôt qualitatif parce que nous avons fait des mesures pendant un an. CurieuzenAir était quant à lui plutôt quantitatif, ce qui est génial parce que ça permet de les combiner. Notre projet a montré que la qualité de l’air pose problème toute l’année, mais nous ne savons pas précisément où. Grâce à CurieuzenAir, nous pouvons identifier ces points névralgiques. Nous sommes ainsi en mesure d’apostropher les responsables politiques : regardez, ici, la pollution est trop élevée. » Pierre Dornier – Les chercheurs d’air
CurieuzenAir
En mai 2018, l’université d’Anvers et De Standaard lancent une recherche citoyenne d’envergure sur la qualité de l’air en Flandre, CurieuzeNeuzen. Bruxelles reste donc une tache aveugle sur la carte à points qui en résulte. Liévin, un ancien collaborateur du BRAL, établit les premiers contacts avec la Bloomberg Foundation, l’université d’Anvers, l’ULB et Bruxelles Environnement pour cartographier la capitale (un projet qui à l’époque porte le nom anglais de Curious Noses…). CurieuzenAir démarre en octobre 2021, c’est le plus grand projet de science participative sur la qualité de l’air qui ait jamais été mené à Bruxelles. Plus de 5000 personnes s’inscrivent pour prendre part à la recherche, un chiffre finalement ramené à 3000 sur tout Bruxelles. Les résultats sont publiés en mars 2022. La plus mauvaise qualité de l’air est enregistrée dans les lieux qui conjuguent une forte circulation et une faible ventilation, c’est-à-dire les rues étroites bordées de hautes façades (les fameux canyons urbains). Les quartiers densément peuplés obtiennent généralement de moins bons résultats. Il y a en outre un lien clair entre le revenu et la qualité de l’air de l’endroit où vous habitez : plus le quartier est pauvre, plus la qualité de l’air est mauvaise. La politique va dans la bonne direction, mais le travail n’est pas encore terminé.
Nous espérons dès lors que les responsables politiques poursuivront dans cette voie, car si l’on veut respecter les nouvelles directives de l’OMS pour tout le monde à Bruxelles, il reste du pain sur la planche.
Que nous réserve l’avenir ?
Il y a donc encore beaucoup à faire à Bruxelles. Il reste primordial de poursuivre la réduction des émissions et nous devrons continuer de veiller à ce que les mesures prises soient socialement responsables. Toute une série d’instruments sont disponibles (taxe kilométrique intelligente, quartiers à circulation apaisée, zones de basses émissions, etc.), mais il faut naturellement faire preuve d’ambition dans leur mise en œuvre. Avec beaucoup d’autres Bruxellois et Bruxelloises, nous devrons maintenir la pression. Si une évidence a émergé ces dernières années, c’est bien que les réactions publiques de citoyennes et citoyens peuvent avoir un impact concret. De même, la pertinence de la science participative en tant que stratégie de changement social s’affirme clairement grâce notamment à CurieuzenAir, à petite comme à grande échelle.
Au BRAL, nous allons poursuivre le travail avec nos membres et notre base en faveur d’une ville durable où il fait bon vivre pour toutes et tous. De nombreux défis attendent encore Bruxelles qui méritent notre attention et pour lesquels nous pouvons heureusement compter sur l’aide de la population et de la société civile bruxelloises.