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Paris brille avec ses mesures pour le climat et le développement durable. Alors que le Ministre en charge de la Transition élabore notre Plan Climat à Bruxelles, voici un petit reportage sur celui de Paris dont nous avons pu prendre connaissance lors de notre voyage en février. 

De grandes ambitions et une belle transversalité

Tout d’abord, le plan doit une part de sa crédibilité à la grande transversalité dont il a bénéficié entre les administrations. Paris est arrivé à formuler une vision forte dont nous savons, ici, qu’elle ne peut émerger sans une collaboration rapprochée entre les divers services et secteurs d’activité -liés à la mobilité, à l’urbanisme, à l’énergie, à la biodiversité ou au logement, par exemple. Chacune des actions et chacun des plans de ces services sont subordonnés au Plan Climat, avec des exigences ambitieuses. Les Zones d’Aménagement Concerté (les “ZACs”,  lisez aussi le chapitre 1 de notre trilogie sur Paris), cet outil phare de la politique d’aménagement, sont par exemple considérées par la Mairie de Paris comme des “vitrines” pour la mise en oeuvre du Plan Climat. Si seulement nos PADs Bruxellois pouvaient en faire autant !

Des objectifs clairs par secteur d’activité

Le Plan Climat guide Paris vers la neutralité carbone en 2050 avec des objectifs exprimés pour chacun de ces secteur d’activité, ce qui n’est pas le cas pour Bruxelles et qui permettrait pourtant à chacun d’entre eux de communiquer clairement sur ce qu’il doit atteindre tout en faisant le lien avec la contribution des autres secteurs. Le travail de communication graphique, non négligeable à Paris, facilite aussi les choses.

Les avions et émissions délocalisées aussi dans le calcul

Autre atout, les émissions de ces secteurs sont rassemblées en une empreinte carbone comprenant les émissions directes et “indirectes” de gaz à effet de serre, c’est à dire même les émissions hors Paris. On pense à celles des avions ou de la production alimentaire liées à la consommation des parisiens par exemple.

Et de quoi rêver sur bien d’autres domaines

On notera aussi la mise en place d’une large consultation citoyenne, l’implication d’entreprises, et parmi les objectifs celui d’atteindre 40% du territoire en surfaces perméables végétalisées d’ici 2050, l’ajout de 20 000 arbres et 50 nouvelles zones humides d’ici 2030, l’ouverture au public d’au moins 300 îlots et d’un parcours de fraîcheur d'ici 2030 (cela fait un îlot de fraîcheur à moins de 7 minutes de chaque habitant), l’utilisation de 100% d’énergies renouvelables en 2050, et d’enterrer définitivement le diesel (d’ici 2024) et l’essence (d’ici 2030) dans une ville “100% cyclable”. Lisez aussi notre précédent compte-rendu “Ça bouge à Paris !?”.

Oui mais comment ?

Tant d’ambitions n’ont bien sûr pas manqué d’éveiller l’admiration, la curiosité et les questions de notre délégation Bruxelloise. Comment mettra-t-on toutes ces bonnes idées en œuvre ?

Par exemple, concernant la production d’énergie. Dans une vision de mobilité où l’électrique aura une place et alors que la France dépend majoritairement du nucléaire aujourd’hui, quelles seraient les implications concrètes et financières de cette transition énergétique? 

Qui va suivre ?

Concernant la participation, un nombre important de citoyens et collectifs ont été rencontrés avant la validation des objectifs. 

Le “plus dur” nous semble cependant encore à venir. Sensibiliser, inviter et aider tous les parisiens -citoyens, élus, entreprises et administrations- à contribuer à l’effort collectif que représente le changement radical d’habitudes impliqué par le plan n’est pas une bagatelle. Il s’agira pour les pouvoirs publics de dresser transversalement un plan d’actions garni d’indicateurs et d’évaluer avec transparence le travail en cours des acteurs.

Mais oui mais oui, et puis ?

De retour chez nous, une nouvelle législature s’entame aujourd’hui à Paris. Nous sommes très curieux de la suite que les parisiens -citoyens, élus, entreprises et administrations donc- donneront à cet ambitieux plan !

 

L'association de protection de la nature CCN Vogelzang CBN milite depuis des années pour la protection de la nature dans la vallée de Vogelzangbeek à Anderlecht. Après l'assouplissement des mesures de confinement, nous avons été surpris de découvrir qu'un important corridor vert sur le site situé chaussée de Mons, 1425, à Anderlecht avait complètement disparu. Le site est adjacent à la réserve naturelle de Vogelzang. Ce corridor vert était constitué de hautes tiges de différentes espèces datant de plusieurs décennies et constituait ainsi un lien indispensable pour la migration de la faune et de la flore dans l'environnement urbain. Le couloir ressemblait à une "mini-forêt". Précisément maintenant que la plantation d'arbres occupe une place de choix dans les plans politiques visant à rendre la ville plus résistante au climat, cette mini-forêt pouvait-elle bien disparaître ?

Les arbres contre les panneaux solaires

Après enquête auprès du service de l'urbanisme, il est apparu que le 30/3/2017, le Collège des Bourgmestre et Echevins avait délivré un permis d'abattage d'une validité de 2 ans. Bien que les arbres étaient sains, l'administration communale a trouvé 4 raisons pour justifier l'abattage. La raison la plus étonnante était le souhait du propriétaire d'installer des panneaux solaires alors que les arbres cachaient 70 % du toit. Si des responsables politiques estiment que les grands arbres doivent être remplacés par des panneaux solaires, les objectifs climatiques risquent de ne jamais être atteints. En plus, un simple clic sur Google Earth montre que c'est absolument faux.
Le permis n'a pas tenu compte de la valeur naturelle de ce corridor vert et l'obligation pour le propriétaire de planter 25 nouveaux petits arbres montre le manque de connaissances sur la fonction des grands arbres dans l'écosystème. En tout état de cause, le permis avait expiré le 30/3/2019 !

Tous les arbres ne sont pas égaux devant la loi

La Région de Bruxelles-Capitale applique à juste titre une législation stricte pour protéger la faune et la flore dans les réserves naturelles. En dehors des réserves, c'est l'inverse qui se produit, et les règlements d'urbanisme existants permettent de plus en plus que la nature soit ignorée pour pouvoir réaliser toutes sortes de projets privés et publics.
Ainsi, un permis d'abattage dans la réserve est soumis à une procédure stricte et est interdit après le 1er mars. Le même arbre en dehors de la réserve peut être abattu jusqu'au 1er avril et sa valeur naturelle ne compte visiblement pas. Pour les sites privés, le permis n'a pas à être annoncé publiquement alors que ces arbres font tout autant partie de l'écosystème général. Ces 22 arbres ont probablement été abattus pendant la période de reproduction, mais personne ne le sait car le demandeur n'est pas tenu d'informer la Commune de la date du début des travaux. De nombreuses autres associations de protection de la nature à Bruxelles doivent également faire face au fait que leurs efforts pour conserver la nature, sont menacés par toutes sortes de projets et par le bétonnage continu de l'espace ouvert restant. Les espaces naturels de Bruxelles risquent de devenir des îles isolées au détriment de la biodiversité.
Une leçon importante de la période du coronavirus est que nous avons tous besoin de plus de nature et qu'à Bruxelles, il faut radicalement renverser la vapeur.

Contact

Association Nature asbl CCN Vogelzang CBN :
Bernadette Stallaert: stallaert@gmail.com; 0478/344 142
CCN-vogelzang-CBN : ccnvogelzangcbn@gmail.com
http://users.edpnet.be/ccnvogelzangcbn/
http://observations.be/gebied/view/32592
https://www.facebook.com/ccnvogelzangcbn/

Une grande partie des habitants de Bruxelles n'ont pas accès aux lieux de décisions, sont méfiants à l'égard des autorités et font l'objet de discriminations. Comment impliquer ces personnes dans le développement de leur quartier ?

Une poignée de travailleurs de terrain et de chercheurs, ainsi qu'un certain nombre de personnalités clés, ont travaillé sur cette question dans trois communautés à Bruxelles. Leur mission : développer une culture de l'initiative citoyenne et de la solidarité à partir de la base. Leurs mots de code : valorisation, connexion, autogestion, analyse de groupe, interpellation politique... Leurs résultats : de quoi remplir une publication entière.

Bientôt sur votre table de chevet ?

La publication est maintenant prête. Après trois années intenses d'expérimentation autour du développement communautaire basé sur les atouts des quartiers, les partenaires du projet CitizenDev, dont le BRAL, ont rassemblé leurs expériences et recommandations.  Cette publication relate de notre recherche pour de nouvelles façons de transformer les citoyens en acteurs de leur environnement. Les habitants des quartiers défavorisés se sentent-ils capables de s'engager dans une initiative citoyenne ? Comment faire naître des projets à partir des atouts et des rêves des habitants d'un quartier ? Quelle est l'importance d'un lieu de rencontre géré par les citoyens ? Et en tant que professionnel, peut-on attendre des gens qu'ils s'engagent gratuitement dans un projet de quartier ?

Le BRAL et ses partenaires ne se limitent évidemment pas à une analyse. Les auteurs amènent aussi des recommandations. Qu'est-ce que tout cela signifie pour les appels à projets du gouvernement ? Pour les contrats de quartiers durables ? Pour les travailleurs sociaux dans les maisons de quartier ou les centres culturels ?

Portraits

La publication est entrecoupée de portraits de six personnalités clés des trois communautés et de deux portraits d'initiatives citoyennes issues du projet. L'ensemble décrit les attentes, les luttes et les succès des "connecteurs" des trois communautés. Avec les nombreuses photographies et dessins, ces témoignages colorés vous donneront, nous l'espérons, le désir de contribuer à un développement communautaire plus « bottom-up » !

Télécharger la publication ci-dessous, ou commandez votre exemplaire en papier de 'Faire collectif à Bruxelles , l’initiative citoyenne et l’expérience «CitizenDev»' gratuitement via info[a]bral.brussels.

INTRODUCTION

CHAPITRE 1 - Il était une fois : trois comunautés, une nouvelle approche

CHAPITRE II - Assembler des "briques méthodos", pour accompagner l'émergence et la pérennisation d'une culture 'initiatives citoyennes

Portrait : Yves, le " MacGyver " du quartier Brabant
Portrait : Maryem, Ce projet représente beaucoup pour moi. C'est ma vie, c'est ma fierté
Portrait : Léonor, une cuisinière qui a les pieds sur terre
Portrait : Marianne, à cent à l'heure pour le local
Portrait Sérigne, un passeur de cultures à Matongé
Portrait : Papa Victor, un rérérent pour les coiffeurs de Matongé
Portrait : Le Local, que se passe-t-il au 97 rue Verte à Schaerbeek ?
Portrait : La Green Cantine, où se rencontrent passion de la cuisine et destins de femmes

CHAPITRE III - Perspectives : l'ABCD dans notre société

Le projet CitizenDev a été réalisé par le BRAL, EVA bxl, Community Landtrust Brussels et les partenaires de recherche Sasha/ULB en CES/USaint Louis. Le projet a été financé par Innoviris dans le cadre de Co-Create.

Avez-vous parfois aussi l’impression de pouvoir goûter la pollution atmosphérique de Bruxelles ? La qualité de l'air à Bruxelles doit s'améliorer. C'est une priorité pour le BRAL. En 2015, il manquait de mesures pour cartographier la qualité de l'air. Les Bruxellois.e.s ne connaissaient pas non plus les effets du mauvais air sur la santé. C'est pourquoi le BRAL et Bruxelles Environnement ont commencé une collaboration : ExpAIR. Par le biais des initiatives de mesure d'ExpAIR, nous voulons sensibiliser les Bruxellois à l'impact de la pollution de l'air.

De la mesure …

Dans le cadre du projet ExpAIR, et en partenariat avec Bruxelles Environnement, nous avons commencé à mesurer avec des compteurs mobiles de black carbon au cours des premières années. Ces appareils sont très sensibles et mesurent la quantité de suie de diesel dans l'air. C'est ainsi que nous avons voulu alimenter les connaissances scientifiques sur la pollution de l'air à Bruxelles. Plus tard, nous avons mis en place le projet AirCasting avec la VUB et l'Airbeam. Il s'agissait de la citizen science 2.0 : il ne s'agissait pas seulement de mesurer mais aussi d'impliquer les citoyens dans la conception de la recherche scientifique. En conséquence, l'ensemble du protocole de recherche, des données et du traitement est accessible au public. Grâce aux actions de mesure, nous avons recueilli beaucoup de nouvelles données.

À l’action !

Mais pour le BRAL, il ne s'agissait pas seulement de mesurer. Mesurer n'est qu'une première étape. C'est une façon d'apprendre, de se mobiliser et de débattre des problèmes et des solutions pour une Bruxelles saine. Après avoir outillé les Bruxellois de ces connaissances, ils sont eux-mêmes passés à l'action. Le groupe Bruxsel'Air, par exemple, est issu d'une de ces campagnes de mesure. Il est toujours actif aujourd'hui. Les premiers États généraux sur la qualité de l'air et le lobby des citoyens (des citoyens qui font pression sur les politiciens pour un air plus pur à l'approche des élections) en sont également des émanations.

Le BRAL présente Piek-a-boo

Grâce à ExpAIR, les pics de pollution ne peuvent plus se cacher. Au cours de nos recherches, nous avons fait un certain nombre d'observations frappantes. L'importance des espaces ouverts pour réduire la pollution, par exemple, mais aussi ses limites.

Rejoignez notre promenade digitale Piek-a-boo pour en apprendre davantage sur les points pollués de Bruxelles. Dans trois films Piek-a-boo, nous vous emmenons, Airbeam à la main, dans des endroits de Bruxelles que vous connaissez bien pour montrer comment la qualité de l'air évolue. Avec ExpAIR, nous continuons à nous impliquer pour un débat informé à propos de la qualité de l'air.

Ce film Piek-a-Boo a été réalisé avec le soutien de Bruxelles Environnement, dans le cadre d'ExpAIR.

Rejoignez-nous !

Vous voulez aussi mesurer ? Venez emprunter un Airbeam du BRAL ! Appelez-nous (02 217 56 33) ou envoyez-nous un e-mail (info at bral.brussels) pour plus d'informations. Vous pouvez emprunter l'Airbeam pour une durée de 2 à 6 semaines. Nous vous expliquerons comment le relier à votre smartphone (tout en respectant votre vie privée) et comment interpréter les données de vos mesures par la suite.

Intro

Vous êtes un citoyen désireux de vous engager pour votre quartier, mettre sur pied des activités accessibles et bénéfiques au plus grand nombre ? Ou un travailleur social qui souhaite impliquer davantage les habitants, de manière bottom-up ? Vous êtes un fonctionnaire ou élu et vous estimez que des projets pensés et portés par des citoyens solidaires ne peuvent que venir enrichir le tissu publique ou associatif existant ? Si vous avez répondu “oui” à une de ces questions ou si vous êtes tout simplement curieux et intéressés par ces démarches, cette publication est pour vous !

Au printemps 2017, cinq partenaires se lancent dans l’aventure CitizenDev pour stimuler et accompagner la mise sur pied d’initiatives citoyennes de tous types. Cette recherche-action participative mêle trois associations bruxelloises Eva Bxl, CLTB et le BRAL, le monde de la recherche scientifique (Centre de Recherche Sociologique de l’Université Saint-Louis et le laboratoire Sasha de l’Université Libre de Bruxelles) et enfin les citoyens. Chacun détient une partie de la connaissance, et il s’agit d’essayer de recomposer l’édifice ensemble. Comment est-ce que des habitants en apparence très différents peuvent combiner leurs forces, envies et connaissances, travailler côte à côte pour mettre sur pied des projets collectifs qui bénéficient à la collectivité ? Quelles sont les différences et similitudes observées à travers les terrains ? Est-ce que les initiatives citoyennes construites par les habitants vont survivre à la fin du projet? Et peut-on envisager une transférabilité vers d’autres quartiers, d’autres groupes ?

Les trois associations ont chacune développé leurs projets dans un lieu et un contexte spécifique, ce que nous appelons des ‘living labs’, des lieux d’expérimentations collectives. Notre publication fera le tour de ces différences et mettra en exergue les points communs qui sont ressortis au bout des trois ans qu’a duré le projet.

Dans le chapitre ‘Il était une fois: trois communautés, une nouvelle approche’ nous vous présentons nos trois “living labs”: le “Quartier Brabant”, la “Communauté sub-saharienne à Matongé”, et la “Communauté des membres du Community Land Trust de Bruxelles”. Nous vous expliquons notre démarche, à savoir partir des atouts, des compétences des gens en présence en utilisant l’approche Asset-Based Community Development, dite approche ABCD, et nous vous présentons comment nous l’avons articulé à l’interpellation et l’implication de pouvoirs publics.

Dans le chapitre ‘Assembler des “briques méthodos”, pour accompagner l’émergence et la pérennisation d’une culture d’initiatives citoyennes’ nous vous expliquons les différentes “briques méthodologiques” qui composent notre cocréation. Pour chacune de ces briques, nous fournirons une analyse des aspects qui ont été positifs et porteurs de sens et/ou d’actions ainsi que de ce qui s’est avéré être compliqué, tendu, voire impossible. Enfin, nous proposerons quelques perspectives d’action, en tenant compte du paysage institutionnel bruxellois. De plus, au fil de la publication, afin d’illustrer nos propos, nous vous proposons une série de portraits de personnes impliquées au sein de CitizenDev d’une part, et d’initiatives concrètes d’autres part.

Dans l’idée de proposer un guide de bonnes pratiques qui pourrait servir à d’autres, nous discuterons des leçons que nous avons tirées de ces trois années sur le terrain. Dans le dernier chapitre, les Perspectives, nous présenterons certaines recommandations pour tenter de rassembler nos “briques” en une boîte à outils.

Les citations dans le texte proviennent des entretiens qualitatifs réalisés par les chercheuses ou travailleu.se.rs ou de prises de notes faites durant les moments de réunions collectives.

Lisez la publication complète ici

Il était une fois : trois communautés, une nouvelle approche

Bruxelles en 2017. Pour une grande partie de sa population un emploi salarié et stable n’est plus accessible; la relation avec les autorités est tendue; des discriminations profondes font partie de leur quotidien. Dans ce contexte une poignée de travailleu.ses.rs et chercheuses ainsi qu’une phalange de “leaders” communautaires se mettent au travail. Leur mission: voir le verre à moitié plein et faire émerger des solutions bottom-up.

Quartier Brabant

Le quartier Brabant, en plein dans le « croissant pauvre » de Bruxelles, est marqué par des phénomènes bien connus, tels que l'insalubrité de nombreux logements, un taux de chômage élevé, une multitude de cultures, nationalités, qui cohabitent sans vraiment se connaître, voire qui se méfient les unes des autres. En 2017, lorsque le projet CitizenDev démarre, deux nouvelles travailleuses sont engagées par EVA Bxl pour trouver des réponses à l’inaccessibilité de l’emploi salarié dans ce quartier. Heureusement, entre 2015 et 2016, cette association menait déjà un projet de travail communautaire dans le même périmètre, créant ainsi au fil du temps un climat de confiance, propice à l’entraide et à la solidarité entre voisins.  En 2017, les 2 travailleuses se mettent à la recherche d’un local, un lieu qui serait propre au projet et donc propre aux habitants eux-mêmes. Dans l’intervalle, elles sont présentes dans l’espace public, dans les associations du quartier et font du porte à porte. C’est lors d’une brocante de quartier, alors qu’elles viennent tout juste de dénicher un local approprié mais dans un état déplorable, qu’elles rencontrent Yves, non seulement bricoleur mais qui de plus vient de prendre sa pension et a du temps à donner. Coup de chance !

A partir de ce moment, leur projet démarre réellement, avec l’opportunité incroyable que les habitants puissent s’approprier le lieu en participant à sa rénovation, chacun à sa manière : qui en nettoyant, qui en bricolant, qui en apportant du thé et des gâteaux, de la peinture, des sacs poubelle... Personne n’est exclu. La rénovation du “Local du Quartier” prend deux bons mois, et son ouverture est fêtée en grande pompe début décembre 2017: le petit local ne pouvant contenir tout le monde, les voisins se pressent sur le trottoir, chacun se réjouissant du rôle (petit ou grand), qu’il ou elle a joué (“tu as vu, c’est moi qui ai peint ce mur-là!” ou bien “encore bien que je leur ai donné toutes ces tasses qui étaient dans ma cave, elles servent bien aujourd’hui”).

Suite à l’ouverture, les travailleuses organisent des réunions ouvertes à tous, en début de soirée, pour que le plus grand nombre puisse participer aux décisions collectives et donner son avis sur la foule de questions qui se posent : qui peut avoir les clés ? Quelles sont les choses qui ne peuvent être tolérées au Local (point qui mènera à la co-rédaction d’un règlement d’ordre intérieur) ? Et surtout, quelles sont les premières activités que les habitants souhaitent lancer ? Ici, c’est véritablement le fait d’avoir un local qui a propulsé les habitants à s’emparer du projet. La « Team » du Local du Quartier est lancée.

La communauté sub-saharienne à Matongé

Au même moment, un artiste/journaliste radio/travailleur communautaire issu lui-même de la diaspora Congolaise, engagé par le BRAL[1] pour faire émerger des initiatives citoyennes, s’installe avec une caravane dans les rues de Matongé, le quartier à Ixelles qui est le point de rencontre d’une communauté issue de l'Afrique sub-saharienne.

Le BRAL est un ‘Mouvement Urbain pour Bruxelles’, dont le slogan est ‘Citizens Action Brussels’. Il défend et soutient depuis 1973 des actions citoyennes pour un meilleur environnement urbain et est désireux de tester une nouvelle méthode pour construire le développement urbain d’en bas.

Avec le collègue d’Habitat et Rénovation, le nouveau travailleur sert du café aux passants à Matongé, papote avec toutes et tous et enregistre leurs propos, ce qu’ils aiment faire, leurs idées, leurs envies. Tantôt il oriente un groupe de chant à la recherche d’un local vers un centre culturel proche, tantôt il met en connexion un amateur-menuisier et un comité de rue qui veulent mettre des bacs de fleures pour ralentir le trafic.

Le choix de travailler ici, avec cette communauté, n’était pas un hasard. Quoique relativement bien qualifiée et diplômée, la communauté sub-saharienne est confrontée à des discriminations, de profonds sentiments d'injustice et une situation économique relativement faible. De plus, le caractère africain du quartier est en détérioration, face à la gentrification et l’augmentation constante des loyers. Quand le travailleur parle d’une nouvelle approche de développement communautaire qui valorise les atouts locaux, nombreux réagissent de manière enthousiaste. Finalement un projet qui prend en compte leurs savoirs-faire, leurs rêves et les caractéristiques du quartier! Rapidement un groupe d’une vingtaine de personnes ressources dans le quartier se rassemble dans ce que nous appelons la ‘Table des Connecteurs’, comité de pilotage et de mise en réseau du projet. Des personnes intéressées par une thématique centrale au quartier, “la valorisation de Matongé”, sont identifiées. Un premier brainstorming rassemble beaucoup de gens et fait émerger quatre initiatives citoyennes. Une douzaine d’autres initiatives suivront, autour de la verdurisation, la culture, le commerce locale… Un effet boule de neige est lancé!

La communauté des membres du Community Land Trust de Bruxelles (CLTB)

Au CLTB, l’histoire est à la fois proche et différente. Cette association développe des projets de logement perpétuellement abordables à Bruxelles pour des personnes à revenus limités, sur des terrains possédés en commun. Par-delà les logements, le CLTB a comme objectif de co-construire, avec les habitants et les associations de terrain, une ville juste et inclusive.

Contrairement aux deux autres living-labs, au CLTB, la dynamique de citizendev ne née pas autour d’un quartier mais autour de la volonté de mettre en lien des personnes qui appartiennent au même mouvement. Inscrits sur une liste en attente d’un logement, membres engagés pour une ville plus juste, associations partenaires,  les profils des uns et des autres sont extrêmement variés. La démarche est la même : ici aussi, des travailleurs sont partis à la recherche des atouts, des compétences et des envies de la communauté des membres pour voir, avec eux, comment renforcer le mouvement et s’entraider.

Travailleurs, bénévoles et stagiaires sont partis progressivement à la rencontre des membres inscrits au CLTB dans l’espoir de mieux les connaître et de voir quels liens pourraient se former entre ces 450 membres.  Mieux parler le français, cuisiner ensemble, découvrir Bruxelles, apprendre à rouler à vélo, organiser des ateliers couture, offrir des services de réparation… Les idées furent rapidement nombreuses. Une ‘Table des Connecteurs’ d’une vingtaine de membres, jeunes et moins jeunes, candidats acheteurs ou non, se sont réunis régulièrement pour réfléchir ensemble aux différents projets à soutenir. Sachant que les candidats acheteurs habitent aux quatre coins de Bruxelles, il n’est pas toujours évident de se rassembler pour une heure ou deux d’activités entre l’école des enfants ou un boulot à horaire décalé… Des bâtiments achetés par le CLTB en attente de rénovation sont venus à point. Leur occupation temporaire a permis d’organiser des tables d’hôtes, des activités pour les enfants, et des rencontres avec le quartier.

Trois communautés, plein d’atouts

Il est clair que les trois communautés que nous avons décrites ci-dessus présentent de nombreuses différences, mais elles ont en commun le fait de rassembler en leur sein des habitants ayant un capital économique relativement faible. Nombreux sont ceux pour qui un emploi stable n’est plus accessible ou ceux qui sont confrontés avec des discriminations profondes ; on peut parler d’un dénis de reconnaissance culturelle. Quoi que les quartiers populaires ont leurs propres réseaux sociaux, leurs propres « centralités [2]»[1] , on constate que leurs habitants sont souvent déconnectés des réseaux dominants de la société urbaine.

CitizenDev part du constat que les politiques publiques actuelles, si elles tentent de trouver des solutions viables, sont insuffisantes et peuvent également renforcer le sentiment qu’en tant qu’habitant, nous n’avons parfois aucune prise sur notre cadre de vie. Par exemple, les politiques liées à la mise à l’emploi obligent une fraction croissante de la population à courir derrière un emploi, souvent inaccessible, plutôt que d’encourager le développement et l’exercice des talents et envies personnels. De manière similaire, les outils dits de revitalisation urbaine réfléchissent et agissent en terme de problèmes à résoudre, plutôt que comme potentiels à mobiliser.

Dans ce contexte, CitizenDev a fait le pari de renverser la dynamique avec une approche venant des USA, la « Asset-Based Community Development (ABCD) ». Cette méthode de travail social communautaire alternative, que nous avons testé pour la 1e fois à Bruxelles, s’organise à partir d’un “inventaire des atouts” à l’échelle locale, des « gifts » ou « dons » du quartier dans un sens large : connaissances et savoirs-faire des habitants, du tissu associatif et des commerçants, ou encore, les atouts physiques propres à un quartier. Le but est de créer ensuite, sur base de ces atouts, une culture d’initiative citoyenne et d’entraide.

Dans l’ABCD, il n’y a aucune prédétermination en termes de résultat attendu ; toutes les initiatives sont valables, pour autant que celles-ci soient pensées et portées par des habitants désireux de donner de leur temps et énergie, de partager leurs expériences ou d’apprendre de nouvelles choses. Une fois que des initiatives voient le jour, une autre étape consiste à les mettre en réseau, à la fois entre elles, et avec la société qui les entoure, avec le but de petit à petit les amener vers une forme d’autonomisation et de reconnecter des réseaux. Sans nier les conflictualités, il s’agit de rechercher de nouveaux modes de mobilisation, capacitation, coopération.

En travaillant de cette manière, il s’agit de passer de l’activation externe à une auto-activation, c’est-à-dire à des projets pensés et créés par des habitants pour des habitants, par opposition aux projets créés par des professionnels à destination de publics spécifiques et fragmentés. Par ce biais, le citoyen devient un acteur de son cadre de vie et entame un processus de capacitation. En participant à la création d’initiatives qui seront utiles ou nécessaires au quartier, le citoyen retrouve de son pouvoir d’agir, même si c’est à une petite échelle, celle de son quotidien.

Les pouvoirs publics dans le bain !

L'initiative citoyenne n’est pas, pour nous, un prétexte à une déresponsabilisation des pouvoirs publics. Il est impensable que des communautés locales et/ou culturelles soient laissées seules en charge de la solidarité et du bien-vivre. C’est pourquoi nous avons complété l’approche ABCD, dans un deuxième temps, par une interpellation politique. Cette interpellation se base sur une analyse commune de nos expériences réalisée par le biais de la Méthode d’Analyse en Groupe (MAG)[3], qui a pris le nom de “Metalab”. Au terme des cinq séances de ce Métalab, nous avons organisé un Metalab final, où une série d’acteurs externes ont été invités pour entendre les questionnements soulevés par CitizenDev et les mettre sur l’agenda d’acteurs publics.[4] En plus nous avons fait de même avec une visite/table ronde en février 2020. Ensemble nous avons évalué si le processus peut être un modèle pour enrichir le développement urbain de demain, en cocréation, entre les citoyens, les pouvoirs publics et l’associatif.

 

[1] A Ixelles le BRAL collabore avec les travailleurs de l’asbl ixelloise Habitat & Rénovation, dans le cadre d’un financement supplémentaire par le Contrat de Quartier Durable Athénée.
[2] Voir aussi le concept “centralité populaire”, développé par le collectif de  chercheurs ‘Rosa Bonheur’, selon lequel les quartiers populaires, souvent périphériques et perçus comme étant “à problèmes” sont en réalité centraux pour les classes ouvrières qui les peuplent. http://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2014-1-page-125.htm
[3] Voir le chapitre ‘briques 7 et 8, analyse en groupe et interpellation politique’.
[4] Entre autres Actiris, Direction de la Rénovation Urbaine, Perspective Brussels, Bruxelles Environnement, Fondation Roi Baudouin…

 

Yves, le MacGyver du quartier Brabant

C’est au carrefour de la Rue Verte et de la Rue Dupont, à Schaerbeek, que se trouve le Local de Quartier. Ce lieu intergénérationnel et multiculturel est mis à disposition de toutes et tous : la porte y est toujours ouverte au sens propre comme au figuré. Chaque semaine, une multitude d’activités y sont organisées, comme une Bourse à Vêtements, du soutien scolaire ou encore un Repair Café.

Dans le quartier Brabant, Yves le bricoleur, est reconnu pour son savoir-faire : les problèmes de plomberie et de peinture n’ont pas de secrets pour lui. D’ailleurs, il a déjà apporté son aide à plus d’une personne : « Je croise souvent des gens dans la rue chez qui j’ai été faire un bricolage. On papote un peu : j’ai beaucoup de contacts par ce biais ». C’est la rencontre avec Andréa, une travailleuse de CitizenDev, qui l’a impliqué dans le projet du Local de Quartier . Au début, il ignorait son état: « Je croyais qu’il était en ordre. Après l’avoir visité, j’ai proposé de faire des travaux. ». Ses compétences, il les a mises au service du projet en travaillant durant deux mois pour remettre le lieu à neuf : « J’étais tout seul chez moi et du coup, je venais avec mon caddie et tous mes outils, je bricolais la journée et je rentrais le soir à la maison. J’aimais bien ».

Yves, c’est un débrouillard. Son parcours de vie atypique a été marqué par des rebondissements et des expériences uniques : stage en Suède, travail dans une entreprise de fil à souder, chauffeur pour le Palais royal à Bruxelles, puis chauffeur de bus pour les enfants d’écoles du quartier et bénévolat par-ci par-là. Un parcours jalonné de quelques embûches, mais Yves n’est pas du genre à baisser les bras : c’est même le premier à se relever les manches et à voir le verre à moitié plein : « Moi je vois toujours le positif. » Il a toujours su rebondir en saisissant les opportunités qui s’offraient à lui, notamment via ses rencontres.

Pensionné, Yves a la possibilité de consacrer du temps au Local. « Ce qui me motive, c’est le fait de rendre service. Cela m’apporte aussi des contacts, du dialogue et je ne suis pas sans rien faire. Parce que si je reste sans rien faire, enfermé chez moi, je ne sers à rien. Après avoir travaillé 47 ans, tu comprends, je vis tout seul maintenant et le Local, ça me donne un but. » Avant le Local, l’engagement dans le quartier faisait déjà partie de sa vie. En plus d’être le « Repair café man » comme dit Feddal, un autre membre actif du projet, Yves a aussi la main verte. Il l’a d’ailleurs mise au service des potagers collectifs du quartier: « Quand je suis arrivé dans la commune, j’ai eu contact avec une dame qui travaille au Soleil du Nord et elle m’a demandé si ça m’intéresserait de faire des cultures. J’avais un jardin potager chez moi à la maison, alors c’est surtout pour montrer aux gens comment il faut s’y prendre. »

Ce qui est capital pour lui, c’est le lien car ce Local est un véritable lieu de rencontres et d’enrichissements mutuels : « J’aime bien être en contact avec les gens. Pour moi, c’est ça le plus important et ils me le rendent bien. » Le vrai hic, le nœud qu’il aimerait résoudre, c’est le fait que le projet puisse devenir permanent: « Ce que je voudrais apporter, c’est que le projet continue, parce que si ça s’arrête, qu’est-ce qu’on va faire, nous ? »

Portrait réalisé par Montaine Kayaert, Romane Marchal et Lucie Roba

Lisez la publication complète ici.

Assembler des “briques méthodos”

pour accompagner l’émergence et la pérennisation d’une culture d’initiatives citoyennes

Trois ans d’expérimentation avec l’approche Asset-Based Community Development ABCD à Bruxelles n’ont pas été un trajet linéaire. C’était une aventure que nous avons vécue dans chacune de nos trois communautés à différentes sauces. Tantôt une certaine étape devient le pilier de l’action, sur laquelle repose la suite ; tantôt cette même étape s'emboîte dans des démarches déjà entamées préalablement. Certaines étapes se succèdent, d’autres s’enchevêtrent ou se répondent. Les choses se construisent peu à peu, comme dans un jeu de construction Lego. Aucune brique est révolutionnaire en soit mais chaque brique a son importance, son utilité. Assemblées, ces différentes pièces peuvent former une maison, un magasin, un château… une nouvelle manière de développer la ville. Il n’y a pas de meilleures manières que d’autres, ce sont des productions différentes, aux utilités et fonctions différentes. L’analogie est facilement transposable à l’action communautaire. Nous allons vous présenter ces différentes briques, toutes utilisées dans le cadre de CitizenDev.

Brique 1 - Reconnaissance et valorisation

L’approche ABCD est basée sur la recherche des “atouts” et “compétences” des membres d’un quartier ou d’une communauté. Il s’agit d’un discours et d’une vision optimiste qui tend à “voir le verre à moitié plein plutôt que le verre à moitié vide”.

Dans les trois livings labs, le projet CitizenDev démarre en allant à la recherche des atouts et compétences, de différentes manières, en s’adaptant au public, aux réseaux existants et aux outils disponibles. Rapidement, les travailleurs d’EVA Bxl et du CLTB constatent que les termes « atout », vocabulaire propre à l’ABCD, ou même «rêve» paralysent certaines personnes potentiellement intéressées par le projet. Cela constitue une entrave à l’engagement de personnes des milieux populaires souvent socialisées dans un vocabulaire de la difficulté et du manque. Une travailleuse relate :

“Quand on parle des envies et des rêves, les gens s’enfuient! Ils me regardent de manière ironique : ‘tu veux réaliser mon rêve? Tu vas me trouver du boulot c’est ça?’ Et si c’est pas un boulot, c’est un logement ou une petite copine.”

Nous remarquons donc qu’une partie des habitants rencontrés n’a pas l’habitude d’être sollicité pour exprimer « rêves et envies », voire même de se penser comme des personnes qui ont des  « ressources » pour le quartier. En plus la notion d’envie n’est pas strictement liée à celle d’atout : on peut avoir envie de faire quelque chose sans en avoir la moindre des compétences ou en tout cas en ignorant les posséder. Les compétences peuvent aussi surgir en cours d’action, soutenues par le collectif et en complémentarité avec celles de ses autres membres.

Face à ce constat la méthode a donc été prise avec souplesse. Les travailleurs s’adaptent au cas par cas aux personnes rencontrées, adaptent leur langage et prennent le temps. Comme dans tout travail communautaire, c’est souvent après plusieurs échanges que des liens se créent, que les personnes dévoilent leurs qualités, motivations et envies pour le quartier…

Si le vocabulaire s’adapte, les notions de savoir-faire ou de contribution ne sont pas pour autant complètement oubliées dans le quartier Brabant et au CLTB. Elles sont récoltées parfois de manière plus informelle. Lors du Metalab, un membre de la Team du Local de Quartier explique à propos de la méthode ABCD:

“C'était pas formel, mais ça se faisait. (...) Les travailleuses quand elles allaient vers les gens posaient la question des compétences, on le faisait sans formaliser. Quand on rentrait en contact avec les gens, moi je le faisais sans connaître la méthode. Quand quelqu’un venait au local, le premier truc que je fais c’est “si tu veux nous aider, qu’est-ce que tu sais faire? ””.

A Matongé le constat est différent. Ici, les travailleurs continuent d’utiliser les concepts ‘atouts’, ‘savoir-faire’ et ‘rêves’ tout au long du projet - avec entre autres le Monument des atouts” en construction. Cette approche semble être accueillie avec enthousiasme par le public de la communauté sub-saharienne. Une personne ressource et un connecteur de la première heure, l’exprime ainsi :

“ La Belgique a un devoir vis-à-vis de notre communauté : il faut récupérer les gens qui sont en-bas, valoriser leur savoir-parler, savoir-faire et savoir-être, leur donner une utilité. (...) Les accompagner comme ça, ce sera utile.”

Un autre connecteur et porteur d’un festival de jeux africains issu de CitizenDev, nous explique que ce n’est pas (seulement) lui en tant que personne qui a besoin de valorisation mais sa communauté. Quand le travailleur du BRAL lui demande s’il ne va pas droit au burnout, tellement il bosse, il répond :

« Oui, mais je veux tellement que le festival soit un succès! S’il n’y a pas beaucoup de monde, les gens vont dire : Ah tu vois ? C’est organisé par des africains ! »

Ce qui constitue une caractéristique de l’approche ABCD maintenue durant tout le projet, c’est que poser des questions directes (“Quel est votre savoir-faire?”) est parfois trop effrayant et contre productif. Par contre recourir à un discours enthousiaste faisant comprendre que tout un chacun peut aider et qui motive à s’investir semble bien fonctionner avec tous nos publics. Montrer une reconnaissance pour les contributions de tous est une des  clés pour une approche stimulante. Le succès de la “Team” du living lab Brabant par exemple, est qu’elle s’est constituée en un réseau qui offre des reconnaissances symboliques. Cette habitante de Brabant, parle d’une autre membre très impliquée de la Team du Local de Quartier:

“ Mais elle m’a fait une grande énergie parce que j’étais un peu faible. Elle me disait «Toi, tu parles super bien avec les gens »”.

Cette caractéristique a marqué une véritable convergence entre tous les participants du projet. A travers les expériences autour du Local de Quartier, apparaît en filigrane : le discours enthousiaste des salariées, les allers et venues des habitants pendant la rénovation du local... Cet aspect informel tient plus de qualités relationnelles propres à chacun que de compétences professionnelles. La méthode est basée sur des rencontres et connexions entre des individus qu’ils soient habitants ou salariés. Le contact humain revêt une importance essentielle.

Brique 2 - Inventaires des atouts

L’inventaire des atouts, la 2e brique méthodologique de CitizenDev, a comme premier objectif de recenser les ressources de la communauté ainsi que leurs rêves et envies pour cette communauté. Mais, au-delà d’un simple recensement, l’ambition de cet inventaire est aussi et surtout de créer des liens, des connexions entre différentes personnes, projets ou associations de quartier.

Les ressources relevées sont de plusieurs types : les compétences et les rêves des habitants, ceux des associations locales ainsi que les ressources physiques (un lieu, des outils, etc.). L’inventaire permet de réunir des personnes autour d’intérêts communs ou de complémentarités et d’ouvrir les opportunités locales en terme d’initiatives ou de ressources.  L’ABCD cherche ainsi à combiner la valorisation du potentiel de chacun dans le collectif, la création de lien entre les individus et la capacité de donner aux individus un certain contrôle sur les choses qui les concernent directement.

En termes d’outils utilisés pour récolter les atouts, la littérature ABCD classique prône de réaliser l’inventaire sur base d’une grille d’entretiens comme support pour interroger d’autres personnes dans le quartier à propos de leurs atouts, des ressources du quartier et de leurs envies. Les trois livings labs ont tenté l’exercice et ont élaboré une grille commune, chacun ajustant légèrement les questions en fonction de son contexte. En parallèle, s’organisent des rencontres informelles (dans des lieux stratégiques du quartier, durant des évènements particuliers au CLTB) ou des échanges plus formalisés auprès de groupes déjà constitués (une association de commerçants à Matongé, un Groupe-projet d’habitants du CLTB, une activité chez BilobaHuis dans le quartier Brabant, etc.). Lors de ces rencontres, divers outils sont mobilisés, choisis et adaptés en fonction du contexte et du public, comme par exemple des photolangages, une Wafelbank[1], une cartographie des atouts, une radio des atouts, un journal des atouts, une caravane placée dans l’espace public, etc.

Chaque living lab mobilise différemment les outils. Au CLTB, la grille formelle est utilisée pour réaliser quelques dizaines d’entretiens avant d’être assouplie. Ces rencontres individuelles sont importantes pour toucher des publics qui ne participent d’habitude pas aux activités collectives du CLTB (AG, formations, brocante…) ou qui prennent peu la parole en public, qui parlent difficilement le français. Elles permettent de renforcer les liens entre les membres et l’association, de répondre à des questions concrètes en matière de logement et de mieux comprendre qui sont les membres inscrits que nous voyons plus rarement.

Finalement au CLTB et à Matongé se réalisent entre 200 et 300 entretiens chacun, inventoriant les compétences de chacune des personnes rencontrées. Dans le quartier Brabant, l’inventaire se construit de manière plus informelle.

Une ambition qui constitue également une difficulté de l’inventaire classique ABCD, est de ne pas être une photo figée à un moment donné mais un processus évolutif. En effet, la méthode prône de continuer à enrichir l’inventaire tout au long de l’expérience (voire au-delà, dans une perspective de pérennisation de la dynamique). Dans notre cas, il démarre bel et bien avec le début du projet CitizenDev, mais n’est pas enrichi jusqu’à la fin. In fine, il fonctionne essentiellement comme base de données qui permet aux travailleurs de recontacter et de réunir les gens autour de leurs atouts/envies.

Si l’approche ABCD recommande une appropriation de l’inventaire par les acteurs eux-mêmes, force est de constater que dans les trois living labs l’inventaire est approprié uniquement par les travailleurs. Premièrement parce que ce sont essentiellement les travailleurs qui vont à la rencontre de personnes dans le quartier pour récolter leurs ressources et envies. Deuxièmement, ce sont eux, surtout, qui ont la vision d’ensemble, qui rencontrent tout le monde, qui font l'exercice de synthèse, qui ont la vision d’ensemble des personnes rencontrées et qui proposent de les regrouper par thématique/collectif.

A Matongé, le BRAL propose une petite fiche ‘atouts et rêves’ pour permettre aux connecteurs de réaliser eux-mêmes l’inventaire. La fiche est une version très allégée du questionnaire qu’on peut facilement mettre dans sa poche et remplir rapidement. La fiche est utilisée lors de quelques moments conviviaux et est accueillie avec enthousiasme par les connecteurs. Or, cela ne sert pas non plus vraiment. Le fait que le partenaire du Contrat de Quartier ne l’approuve jamais vraiment freine le BRAL à la lancer effectivement dans le quartier et à développer un réseau de boîtes où les gens peuvent déposer des fiches remplies à plusieurs endroits associatifs ou commerciaux. Cela limite l’appropriation de l’inventaire par les citoyens.

Notons que l’opportunité de rendre accessible ces bases de données afin que les habitants repèrent eux-mêmes les possibles connexions dans leur quartier est longuement discutée. Deux difficultés nous conduisent à ne pas le faire : les questions relatives à la vie privée et la gageur de tenir à jour la base de données, considérée comme n’étant pas prioritaire (par rapport aux actions concrètes à mener). Après un certain temps et automatiquement, l’accompagnement des initiatives citoyennes lancées prend la place des rencontres pour renforcer l’inventaire, faute de temps pour tout faire. Ce dernier point nous amène à relever l’enjeu d’une double temporalité : le temps que nécessite l’inventaire des atouts versus le besoin rapide d’actions des personnes rencontrées en début de processus (auquel s’ajoute les attentes de résultats observables, quantifiables de la part des pouvoirs subsidiant).

Une fois que ces initiatives citoyennes se multiplient, nous constatons que la dynamique dans nos communautés a un effet « boule de neige». Les apports des uns stimulent les autres à s’engager aussi, beaucoup plus que ce que peuvent obtenir les travailleurs s’ils restaient seuls à faire ce travail de mobilisation et de mise en lien. Ceci diminue le besoin d’un inventaire. Après deux ans de living lab Matongé, quelqu’un vient voir le BRAL parce qu’il a vu les initiatives d’autres personnes et il a envie de faire quelque-chose lui-même. Et un commerçant du quartier rassemble un groupe pour lancer un réveillon solidaire pour les sans-abris, autonomes dès le départ mais qui appellent leur initiative ‘Connect Matongé[2]’.

Brique 3 - Le lieu

L’approche ABCD est conçue autour de l’idée d’une communauté qui est territorialement centrée. Le pari de CitizenDev était de tester si l’approche permettrait aussi de développer une dynamique citoyenne au sein d’une association telle que le CLTB, dont les membres sont diffus sur tout le territoire bruxellois. Nos expériences montrent que ce n’est pas aisé. Ceci implique des enjeux liés à l’accessibilité pour les membres (la distance entre le lieu de l’activité et le lieu de résidence est parfois un frein à la participation), à la disponibilité de lieux adaptés pour y développer les activités, et à l’ancrage local des actions, en lien avec le public de proximité. Ces enjeux influencent le potentiel de pérennisation de la dynamique lancée sur le long terme.

Un atout fondamental est de disposer d’un lieu pour se rencontrer. A Brabant, disposer d’un local permet d’enclencher une dynamique, de construire une multitude d’activités et de rassembler (voir le portrait de La Team). Inversement au CLTB et à Matongé, l’absence de lieu facilement disponible et appropriable complique la mise en réseau. Les connecteurs à Matongé expriment vite le rêve de pouvoir davantage s’approprier l’infrastructure de Kuumba asbl[3], la Maison Africaine-Flamande, comme pivot et catalyseur de la dynamique citoyenne, un rêve qu’on essaie de concilier avec la gestion de l’asbl, en concertation avec la direction. Quant au CLTB, après avoir accueilli dans ses bureaux des activités telles que des tables de conversation, des ateliers cuisines, ou des formations autour de la mobilité douce, au prix parfois d’une cohabitation difficile avec les travailleurs à l’étroit dans leurs locaux peu adaptés à recevoir tant de passage, l’opportunité de mettre à disposition un bâtiment vide en attente de rénovation était bienvenue. Depuis mai 2019, les membres ont pu disposer de certaines parties du bâtiment Abbé Cuylits en occupation temporaire, ce qui a permis de démarrer une nouvelle dynamique.

Brique 4 - Ouverture thématique

Pour être en phase avec les concepts centraux de la valorisation des atouts et de l’autogestion il est important de montrer patte blanche aux citoyens quant au choix des thèmes sur lesquels ils désirent travailler. Une telle ouverture thématique est un luxe que pas mal de travailleurs communautaires ou fonctionnaires ne peuvent se permettre dans leurs relations avec des initiatives citoyennes ou dans l’accompagnement de processus participatifs. Souvent les associations de terrain, maisons de quartier ou dispositifs publics ont des thèmes prédéfinis qui contraignent leur projet puisqu’ils sont censés mobiliser les habitants dans ces cadres-là.

Nos expérimentations montrent qu’une multitude de thèmes sont abordés par les citoyens si on travaille le développement local sans prérogatives : cohésion sociale, culture, récupération de vêtements, économie locale, verdurisation, conversations en français, apprentissage de langues ...

Cette ouverture est parfois vertigineuse ou épuisante, que ce soit pour les travailleurs qui accompagnent ou pour les participants trop sollicités ou perdus face à ce qui est parfois considéré comme un flou. Au CLTB, après avoir expérimenté cette ouverture presque deux ans, il a été décidé collectivement, y compris avec les connecteurs, de recentrer les thématiques sur les missions du CLTB, dont celle de créer des liens entre les membres. Du coup l’initiative ‘Gym pour personnes âgées’ s’autonomise du CLTB parce que, dans les faits, peu de membres sont des personnes âgées (les candidats acheteurs se voient refuser toute possibilité de crédit pour financer un achat immobilier à partir d’un certain âge). Cela traduit également une distanciation par rapport à l’approche ABCD pour correspondre davantage aux enjeux du living lab en recentrant cette ouverture sur ses propres missions : une association qui vise à « renforcer sa communauté » et à proposer des logements inscrits dans une dynamique de quartier.

Brique 5 - Connexions

L’approche ABCD vise à renforcer les solidarités horizontales, à impulser et solidifier des communautés. Le travailleur communautaire doit aller à la recherche de citoyens qui mettent les gens en relation, qui “connectent”. Rapidement, après avoir réalisé quelques entretiens, commence à émerger des connexions intuitives, spontanées où on met en contact une personne avec une autre qui pourrait l’aider. Le besoin de ce genre de connexions s’est fait sentir depuis le début du projet : un groupe cherche un local et le travailleur les met en contact avec une association, ou alors un collectif a un projet de bacs à fleurs et le travailleur connaît quelqu’un qui a des compétences en menuiserie. Avec le temps d’autres formes de connexions “plus complexes“ sont apparues : les travailleurs invitent des personnes qu’ils ont rencontrées et ‘inventoriées’ pour des brainstormings autour d’objectifs ou rêves communs. A Matongé trois grands brainstormings ont eu lieu, notamment sur la valorisation du caractère africain du quartier, sur l’environnement et l’espace public et finalement une autour d’activités artistiques sur les atouts du quartier. Ce sont autant de moments de connexion.

Les connexions font donc partie intégrante du processus. Ce n’est pas uniquement le travailleur qui exécute cette tâche. Un “connecteur” est une personne qui crée du lien entre des personnes, des groupes et des lieux (reconnus comme les ressources d’un quartier, d’une communauté). Ces connecteurs sont eux-mêmes fédérés autour d’une « Table des Connecteurs », sorte de “comité de pilotage”. Ce faisant, nous n’avons bien sûr pas inventé l’eau chaude; nous avons plutôt renforcé et encouragé le rôle de connecteur de certaines personnes, en vue de favoriser une dynamique de mise en lien, une culture d’entraide, de synergies au sein d’un quartier ou d’une communauté.

“A Matongé la communication ça ne se fait pas avec des flyers, moi je vis là depuis 28 ans. On parle ensemble, on rencontre, on discute, on boit un verre, c’est comme ça que ça se passe, la communication. On est à combien là, à 20, il suffit qu’on se disperse, qu’on sonne aux portes…” (un commerçant dans le quartier, initiateur du collectif Connect Matongé)

Au living lab Brabant les personnes les plus présentes dans le Local du Quartier sont de véritables « connecteurs ». Chacun est un « point de repère » pour certains habitants du quartier. Ceux-ci passent lorsqu’ils savent que la personne avec laquelle ils entretiennent des liens plus forts est présente. Ils connectent, mettent en lien, rassemblent autour d’activités formelles ou informelles. Peu à peu, se constitue un réseau de petites solidarités entre les personnes fréquentant régulièrement le Local, intégrant les personnes plus actives et celles d’un deuxième cercle. Elles se rendent des services. Lorsque l’une est malade, les autres prennent des nouvelles, s’arrangent pour passer lui apporter à manger, une soupe qu’elle aime bien, un plat de sa spécialité… Elles tiennent compte des contraintes des unes et des autres, se remplacent si besoin...

Au côté des connecteurs, se trouvent une multitude de personnes avec une diversité de degrés et de formes d’engagements. Tous les citoyens qui participent au projet CitizenDev, qu’ils soient membres d’une association comme le CLTB, membres d’une communauté culturelle à Matongé ou habitants à Brabant, n’y sont pas engagés de la même manière. Il y a des habitants qui s’impliquent dans l’ensemble de la dynamique du living lab, voir aussi dans la recherche-action. Ils sont les connecteurs, moteurs du projet. C’est à partir de leurs actions que se constituent des collectifs. Il y a des gens qui s’investissent à fond dans leur initiative citoyenne sans pour autant participer au reste des dynamiques de CitizenDev. Par ailleurs, certaines personnes ne participent que de manière occasionnelle ou à des évènements ponctuels. Finalement il y a aussi les bénéficiaires des initiatives : les enfants de l’école de devoir, les personnes qui apprennent le vélo, les consommateurs de la table d’hôte, même si nous essayons toujours de tous les stimuler, c’est à dire les motiver à être non seulement bénéficiaires mais aussi acteurs.

L’image d’un vol d’étourneau dans le ciel semble plus adéquat que le concept de „collectif “ pour décrire les réseaux qui se constituent dans nos livings labs. Le terme "collectif" a tendance à évoquer un groupe figé et pérenne dans le temps.  Alors que ce qui se crée ce sont plutôt des dynamiques de groupe en constante évolution, qui se croisent et décroisent, se regroupent et se détachent... à l'image du vol d'étourneau. De loin, on pourrait penser qu’il s’agit d’un melting pot désordonné mais il fonctionne et amène quelque part. A l’instar de ces vols, nos réseaux sont des paysages de personnes qui vont et viennent, qui se connaissent ou se rencontrent pour la première fois lors d’activités CitizenDev, et qui apportent leurs contributions à gauche et à droite. Pendant la rénovation du Local de Quartier Yves est la personne centrale mais différentes personnes viennent, donnent un coup de main ou un pot de peinture et s‘en vont. A Matongé certaines personnes porteuses d’une initiative participent aux rencontres et dynamiques d’autres collectifs.

Bien sûr toute catégorisation ou description s’avère réductrice. Elle ne vaut pas à tous les moments, pour toutes les initiatives et pour les trois living labs. Mais l’image du vol illustre que l’intensité de l’engagement peut varier en fonction des activités menées et des collectifs qui les supportent. Parfois la spécialisation s’accompagne de la coopération de tous les membres de l’équipe sur l’ensemble des “collectifs” (Brabant). Parfois elle peut conduire, faute de relais, à l’épuisement du lanceur d’activités. Plusieures initiatives s’arrêtent après un temps. Un moment donné, l’atelier cuisine, qui est devenu la Green Cantine plus tard, ne semble pas résister à l’épreuve du temps non plus. L’initiatrice raconte:

« On a concrétisé l’atelier cuisine, local à la rue Gray, on a pu faire l’atelier, tout chaud tout flamme au début. Couscous marocain délicieux. Mais, plus tard, je me suis retrouvée seule ! Puis il y a quand même l’espoir que ça reprenne »

L’intensité de l’engagement du premier cercle peut varier aussi en fonction de la dynamique collective qui s’y installe. Certains collectifs ne prennent pas parce que celui qui le porte ne joue pas le jeu du collectif ou ne respecte pas les règles du jeu du processus collectif de délibération. C’est le cas d’un des projets à Matongé même s’il repose sur un objectif de reconnaissance culturelle.

Les connecteurs ont tous des compétences différentes et complémentaires mises au service du collectif. Durant la rénovation du Local de Quartier, une partie s’investit dans les travaux tandis que d’autres préfèrent participer aux réunions, chacun selon ses affinités personnelles. Pour que les collectifs prennent et tiennent les compétences doivent être plurielles. La Team (Brabant) est mixte, polyvalente, polyglotte, chacun ayant ses spécificités. C’est ainsi qu’ils peuvent compter tant sur des compétences manuelles, organisationnelles, administratives, linguistiques, qu’intellectuelles et, progressivement, assurer la gestion d’un Local de Quartier aux diverses activités. A la Green Cantine l’initiatrice est maintenant renforcée par des femmes qui possèdent des compétences diverses : comptabilité, administratives, maîtrise des normes Afsca… Les compétences organisationnelles sont mises au service des compétences techniques. Chacun vient avec ce qu’il sait faire et le caractère bénévole est une garantie pour pouvoir valoriser la contribution de tous. A côté de ces compétences le fait de connaître son quartier, d’y avoir vécu constitue également une compétence pratique non négligeable.

Le soutien entre connecteurs s’avère également important pour maintenir la motivation dans le temps. Les initiatives s’inscrivent dans la durée grâce à quelques individualités fortes du premier cercle qui assument énormément de responsabilités. La question de savoir ce qui se passera lorsqu’un connecteur quittera le projet en inquiète plus d’un.

Le rôle de l’accompagnateur professionnel des connecteurs est bien souvent déterminant tant pour les détecter, les rassembler, les motiver que pour peu à peu s’en détacher. Dans ce cas, l’accompagnateur agit comme facilitateur pour l’émergence et le renforcement de collectifs citoyens. Comme point de départ et pivot central. Son attitude doit varier en fonction de ce que la communauté et le territoire révèlent. L’équilibre est délicat : le travailleur doit pouvoir s’attacher mais aussi se détacher quand les initiatives n’ont plus besoin de lui. Être un accompagnateur, c’est un métier. Nous pensons qu’il faut favoriser la réactualisation du travail social communautaire, entendu au sens fort du terme, en valorisant les atouts des gens, les « centralités populaires » , en stimulant l’autogestion.

Brique 6 - Autogestion

Une des clés de l’approche ABCD est l’autogestion. Toute la philosophie ABCD est basée sur le postulat que les communautés doivent être les acteurs et producteurs de leur propre bien-être et non pas les consommateurs de services rendus par des pouvoirs publics ou experts externes.

En fait, la littérature ABCD ne parle que peu des pouvoirs publics. Cette vision est d’ailleurs souvent critiquée comme néolibérale et comme plaidoyer pour une déresponsabilisation de l’état qui devrait alors être substitué par l’autogestion. Nous ne partageons pas ce regard anglo-saxon ; avec le dernier Metalab et la visite/table ronde nous plaidons pour une co-création du développement local entre les pouvoirs publics, les associations et les citoyens. Or, pour pouvoir mobiliser l’initiative citoyenne, l’autogestion de certaines activités est fondamentale selon nous. Pour les trois living labs, il est évident que la capacité, dans une communauté, de construire des solutions pour répondre à ses propres défis va de pair avec l’appropriation citoyenne des instruments de la construction de leur cadre de vie ou des processus décisionnels qui y touchent.

Des facteurs inattendus peuvent faciliter l’autonomie. Ainsi à Brabant, toujours, l’absence prolongée des travailleurs pour des raisons de santé provoque une autonomisation plus rapide que celle envisagée initialement. Les connecteurs se mobilisent et s’organisent pour que les activités continuent, que les permanences soient assurées, que les habitants fréquentent le Local. Ils font beaucoup, parfois trop, sacrifiant d’autres temps qui leur sont importants ou s’épuisant.

« Au début on a fait de l’excès de zèle. On était vraiment là toute la journée. Et, disons que ça ne va pas quoi… Il faut se dire qu’à côté de ceci on a encore une vie, donc on s’est dit: ça ne va pas ». (Membre de la Team)

L’autogestion s’expérimente peu à peu, à certains moments, pour prendre en charge certaines thématiques ou activités, dans certains contextes.

A Brabant, l’autogestion s’apprend sur le tas, en la pratiquant, en l’expérimentant. Il n’est pas toujours facile, ni pour les travailleurs, ni pour l’équipe de bénévoles de trouver l’équilibre entre soutien et autonomie. Lorsqu’en septembre, la première employée revient après une longue absence, il faut lui refaire une place, et elle doit en retrouver une. L’équipe bénévole attend de sa part qu’elle réorganise les réunions formelles qui, jusque-là, étaient portées par les travailleurs. Mais cette attente est implicite. Tout le monde tâte, ne voulant rien imposer, et, parfois, n’osant pas demander. Vient alors une période de flou. Les connecteurs, autonomes une période, redeviennent à certains niveaux dépendants d’EVA Bxl. Ils attendent des travailleurs qu’ils organisent les réunions, et du coup, attendent cette réunion pour pouvoir prendre des décisions collectives autour d’activités (fête annuelle, passage d’étudiants dans le quartier, étagères pour la bourse aux vêtements etc.). En décidant de travailler ensemble à bras le corps la question de l’autonomie, certaines tensions disparaissent et un nouvel équilibre se construit. Le fait que ce soit la coordinatrice d’EVA Bxl elle-même qui encadre les premières réunions de travail à ce sujet est perçu très positivement, même s’il reste un certain flou. Petit à petit, et surtout vers la fin du projet, la Team se prépare pour continuer l’initiative par ses propres moyens.

A la Green Cantine (CLTB) l’accompagnateur engagé pour une courte durée dont la principale mission est de consolider le groupe, dit souvent aux femmes : "ça c'est le genre de choses que vous devez faire seule. Comment vous allez faire quand je serai parti ?”. Que ce soit prendre des contacts avec des structures qui disposent de cuisine équipée, rédiger le premier jet d’un flyer pour se faire connaître, ou estimer à partir de combien de couverts une table d'hôtes peut être rentable, l’accompagnateur incite le groupe à trouver lui-même les réponses. Il est là pour les soutenir, les aider dans certaines démarches administratives et comptables, mais pas pour répondre à toutes leurs questions, ni pour monter le projet à leur place.

A Matongé, dans une perspective d’autonomisation, les travailleurs commencent vite à se répartir les tâches de gestion de la Table des Connecteurs avec les connecteurs eux-mêmes. Si pendant la première année ce fut encore les travailleurs qui font l’ordre du jour, qui président la réunion, qui donnent les infos et qui font le pv, plus tard des connecteurs prennent le relais pour modérer la réunion, noter les conclusions sur de grandes feuilles, être le maître du temps… Pendant l’été 2018 la Table des Connecteurs a assume aussi son rôle de comité de pilotage du living lab en construisant une proposition de règlement pour le budget participatif (BP) du Contrat de Quartier qui allait organiser le financement d’initiatives citoyennes.

Malheureusement nous n’avons pas pu continuer cette appropriation. En cours de route notre partenaire, en charge du projet PDCA du Contrat de Quartier Durable Athénée (CQDA), signale que pour eux, la “gestion professionnelle” du projet prime sur l’appropriation citoyenne du processus et la valorisation du don de chacun. Du coup, après quelques tentatives avec une répartition de tâches entre travailleurs et connecteurs, ce sont les professionnels qui reprennent toute la coordination des réunions de nouveau. En tant que gestionnaire du budget participatif, ils veulent aussi garder la décision finale sur le règlement.

Sans vouloir affirmer une causalité, nous constatons que la présence de “nos“ connecteurs aux réunions de la Table chute vite pendant l'automne et l’hiver 2018 et que le rythme originel ne peut pas être restauré. Ainsi on constate le même phénomène que dans les processus participatifs de la plupart des Contrats de Quartier: une bonne participation citoyenne au début qui chute après un certain temps, entre autres dû au fait que le pouvoir organisateur ne lâche pas le contrôle et que les habitants ne se sentent pas nécessaires dans le processus.

Après de longues et fastidieuses discussions de fond avec le partenaire, la Table est relancée sous une autre forme. Au lieu d’être le comité de pilotage de tout le projet, y inclus le budget participatif du Contrat de Quartier, elle devient un collectif citoyen comme les autres, en février 2020. La Table 2.0 a alors comme seules missions de fournir l’inventaire des atouts, de créer des connections et de stimuler la culture d’initiative citoyenne dans le quartier. Cette modification permet de donner une autogestion totale aux connecteurs pour organiser leur groupe comme ils l’entendent. Les connecteurs sont enthousiastes!

Briques 7 et 8 - Analyse en groupe et interpellation politique[4]

La méthode de l’analyse en groupe (MAG) est une analyse collective de récits d’expérience vécue et leur interprétation. Durant la dernière année de CitizenDev nous intégrons une analyse en groupe en 6 séances, intitulées ‘Metalabs’. Des connecteurs, travailleurs et chercheuses des 3 Living Labs y participent, soit une quinzaine de personnes qui resteront présentes au long des 6 séances. Le Metalab devient le lieu où une série d’acteurs clés du projet, représentants les trois pôles de la recherche-action participative (à savoir citoyens, travailleurs, chercheurs), questionnent les points forts et faibles sur les trois terrains. Chaque participant prépare un “récit”, une petite narration d’une expérience concrète qu’il présente. L’ensemble des participants choisit deux récits qui semblent révéler et illustrer des obstacles que nous avons rencontrés dans les trois living las. Ces deux récits,  un autour du Local et un autre autour de la rémunération, sont analysées collectivement.

Pour clôturer cette étape, nous invitons, lors du dernier Metalab et de la visite/table ronde en fin de projet, des personnes externes, identifiées par le groupe comme des acteurs clé qui pourraient aider à dépasser des obstacles que nous avons rencontrés sur notre trajet. Parmi eux il y a des travailleurs associatifs et des représentants d’administrations. Dans ce sens ce Metalab sert comme un dernier chaînon, qui permet à chercher avec les fonctionnaires une nouvelle forme de collaboration entre les réseaux citoyens de nos Living Labs et les pouvoirs publics.

Nous pensons qu‘une analyse collective des expériences peut renforcer et capaciter chaque groupe. De plus, nous suggérons d’utiliser le chaînon de l’interpellation politique de manière systématique pour combler ce que nous avons perçu comme une lacune typiquement anglo-saxonne qui est inhérente à l’approche ABCD, l’absence des pouvoirs publics dans cette vision.

Ensemble, la MAG et l’interpellation politique permettent d'articuler des projets très micro sur chaque terrain à des politiques de redistribution et de solidarité plus large. Ce point sera développé dans notre dernier chapitre.

Brique 9 - Rémunération

Il apparaît rapidement qu’il est très délicat de faire émerger des initiatives ou des appropriations si cela exige des citoyens de s'engager gratuitement dans des actions au même titre que des professionnels qui, eux, sont payés. Dans l’expérience CitizenDev il arrive à de nombreuses reprises que les citoyens endossent des responsabilités semblables à celles des professionnels. Comme l’illustre cette réunion au Local du Quartier où la travailleuse propose que dans le futur, la prise de note tourne entre les personnes présentes. Un habitant lui répond, énervé : « c’est vous qui êtes payés, c’est à vous de faire les PV ».

En outre, le projet CitizenDev est ancré dans les quartiers populaires, là où de nombreux habitants font face à des problèmes quotidiens non négligeables. Dès lors, s’engager de manière complètement bénévole relève souvent de l’impensable. Les travailleurs des différents living labs témoignent que lors d’une première rencontre avec de nouveaux habitants, très rapidement il leur est demandé : « On est payé combien ? » « Y aura un petit boulot à la clef ?».

« Moi si j’ai vraiment la liberté de ma vie, je ferais que ça, du bénévolat, jusqu’à la fin de ma vie... mais avec du bénévolat tu sais pas vivre, tu sais pas payer les loyers, la nourriture... » (travailleuse CLTB, ex-bénévole)

Un connecteur de Matongé remarque que de nombreux africains s’investissent bénévolement au sein d’associations de leur(s) communauté(s). Par contre, quand il y a des budgets dans le cadre d’un projet associatif ou public, l’enthousiasme de travailler de manière gratuite est nettement moins grande. Et un membre de la Team à Brabant avertit contre l’instrumentalisation de bénévoles.

« Quand il y a du bénévolat entre nous, on sait qu’il y a pas d’argent mais on fait ensemble. Mais là il y a un projet qui arrive comme ça et qui dit qu’on va faire bénévolement ? » (Connecteur Matongé)

« L'idée de connecter, c'est une idée très bonne mais demander aux connecteurs de travailler bénévolement ça ne va pas! C'est un travail! C'est même indécent de leur demander de travailler bénévolement.» (Membre de la Team, living lab Brabant)

Rémunérer les citoyens, un paradoxe ?[1] 

Face à ce double constat, nous sommes forcés d’évoluer par rapport à notre posture initiale où nous n’avions pas prévu de rémunérer les citoyens. C’est au fil du temps que nous réfléchissons à la manière de donner une valeur économique à l’engagement social des citoyens.

Si rémunérer ces citoyens pleinement investis est devenu, pour nous, une évidence, il n’en reste pas moins que cette posture est encore assez marginale dans notre société. Il est de bon ton que la personne s’engage sans chercher un intérêt financier (être payé) ni de reconnaissance (être félicité) mais le faire « de bon cœur » sans chercher de rétribution. Les deux types d’intérêt (individuels et altruistes) sont considérés comme incompatibles. Or dans l’expérience CitizenDev, on observe l’inverse, ces deux motivations ne sont pas mutuellement exclusives; au contraire elles se complètent et se renforcent l’une l’autre, sans être en contradiction. En effet, les habitants ne s’engagent pas uniquement pour le bien-être de leurs pairs mais également pour se faire une expérience valorisable sur leur CV, valoriser leurs compétences artistiques, se sentir utile...

Rémunérer à tout prix ?

Si le pari de CitizenDev est de dépasser le tabou lié à la rémunération des engagements citoyens, la question est également posée de savoir s’il faut dans toutes les situations défrayer financièrement. En effet, certaines activités peuvent être dénaturées si elles sont payées. Il existe d’innombrables actions de solidarité totalement gratuites dans les quartiers populaires. D’ailleurs de nombreux citoyens engagés dans l’expérience CitizenDev ne sont pas rémunérés pour l’ensemble de leurs activités. Les habitants du quartier Brabant sont payés uniquement pour des projets spécifiques et bien définis (par ex. le soutien scolaire) mais pas pour l’ensemble de leurs activités (permanences au local, divers services rendus…).

Ainsi la compensation financière est une forme de reconnaissance et valorisation de l’engagement citoyen, comme le souligne une connectrice du CLTB:

« La reconnaissance, c’est important, ça met de la valorisation dans la tâche accomplie. S’il y a une rémunération, c’est une forme de reconnaissance. L’argent c’est important de valoriser son activité. »

Or, la compensation financière ne s’avère pas indispensable et appropriée dans tous les cas. Nous distinguons d’une part, les actions de solidarité et d’entraide qui se doivent de rester totalement gratuites. Et d’autre part, les citoyens qui contribuent en tant qu’expert ou gestionnaire de projets, souvent endossant les tâches de professionnels et dans ce cas peuvent légitimement être rémunérés.

«En tant qu’afro-descendant, on nous demande notre expérience. (...) Moi je veux bien être citoyen, connecteur mais quand je suis expert, je suis payé. (...) C’est con mais c’est symbolique.» (Connecteur Matongé)

Un cadre législatif trop rigide

Au-delà de dépasser le tabou de l’engagement désintéressé, nous avons fait face à une autre difficulté de taille : sous quel statut rémunérer les citoyens ? La seule possibilité qui se dessine est le cadre législatif du bénévolat, permettant de défrayer le bénévole de manière forfaitaire, mais il ne répond pas à nos besoins.

Tout d’abord, les personnes inscrites au chômage qui souhaiteraient commencer une activité bénévole doivent préalablement en avertir l’ONEM. Un problème se pose ensuite avec de nombreuses institutions ou associations qui, par crainte d’avoir des soucis avec l’ONEM,[5] refusent de recourir à des bénévoles.

Ensuite, la possibilité de défrayer de manière forfaitaire nos bénévoles, prévue par la législation, n'est pas une forme de rémunération. Selon le législateur, il s’agit d’un défraiement forfaitaire : remboursement des dépenses effectuées par les bénévoles, sans qu’ils ne doivent en apporter de preuves. En pratique, les associations l’utilisent souvent pour donner un petit extra à leurs bénévoles. Si nous l’avons utilisé, c’est parce qu’il n’y a pas d’autres cadres. Il manque donc ici un statut intermédiaire entre le bénévolat et le salariat, qui pourrait constituer pour ces habitants un tremplin vers un job salarié.

Par ailleurs, la législation plafonne les montants perçus à maximum 34,71€ par jour et 1.388,40€ par année. Ce statut est un frein à la motivation initiale des habitants comme déjà dit plus haut et comme un membre du CLTB le souligne :

« Le bénévolat est un frein aux motivations des citoyens, très motivés, très engagés, mais qui se découragent parce qu’il y a une limite au défraiement. Les gens ont des compétences qu’ils veulent mettre au service de la communauté, mais quand on arrive au niveau bénévole on est refroidit et du coup on veut pas aller plus loin parce qu’on est pas correctement défrayé.»

De plus, les montants ne permettent pas de vivre.

« Les gens aimeraient bien avoir un salaire, (…) ils ne demandent pas forcément à être bénévole. Le bénévole c’est 34€ / jour, mais les gens aimeraient gagner bien plus. (…) Quelqu’un qui organisait une visite du quartier, il ne voulait pas qu’on mette « bénévolat » sur sa facture, il voulait être payé. » (un travailleur de Matongé)

Lisez la publication complète ici.

[1] Voir https://vimeo.com/7295214 pour plus d’infos.
[2] Voir https://www.citizendev.be/lactualiteacute8203/connect-matonge-un-reveillon-de-noel-solidaire
[3] https://kuumba.be/
[4] Quoi qu’il s’agisse de 2 briques méthodologiques différentes, qui peuvent être utilisées de manière séparée, nous avons décidé de les traiter ensemble parce que chez CitizenDev les 2 ont été appliquées par le biais des Métalabs.
[5] Voir Marée M. , Hustinx L., Xhauflair V., De Keyser L., Verhaeghe L., « Le volontariat en Belgique, chiffres-clés, Fondation Roi Baudouin, 2015/10, p.1-94

Maryem : « Ce projet représente beaucoup pour moi. C’est ma vie, c’est ma fierté. »

Du Sénégal à la Belgique, il y a approximativement 6000 km. Il y a presque autant d’étapes dans le long parcours de Maryem, une femme pleine d’énergie et qui, malgré ses conditions d’existence difficile, a décidé de s’engager. Du Sénégal jusqu’en Belgique, à Bruxelles, au CLTB…

Maryem est une femme volontaire : d’origine sénégalaise, elle est arrivée seule en Belgique en 2012. Demandeuse d’asile, elle s’est battue pour obtenir le statut de réfugiée. Elle y est parvenue en 2014, après avoir séjourné deux ans dans un centre de la Croix-Rouge. En 2016, elle a pu faire venir son fils en Belgique. L’obtention du statut de réfugié a permis à Maryem de travailler comme commis de cuisine et de suivre deux formations professionnelles dans ce même domaine. C’est alors qu’elle entend parler par une connaissance du projet CLTB. Fin 2014 - début 2015, Maryem pose sa candidature en vue d’obtenir un logement. Étant alors au chômage, c’était impensable pour elle d’obtenir un crédit via une banque classique. 

Si Maryem reconnaît qu’au départ sa participation au CLT était liée à son besoin d’obtenir un logement, elle se rend compte aujourd’hui qu’elle lui apporte bien plus ; grâce entre autres au projet CitizenDev. Cela passe par un soutien de la part de Gérardo et Albert, les deux travailleurs sociaux CitizenDev attachés au CLTB, pour toutes les démarches administratives qui concernent aussi bien le lancement de la Green Cantine : « Actuellement nous aussi nous avons un projet, celui de Green Cantine. On est débutantes, mais on veut aller plus loin encore. »,  que dans sa vie de tous les jours.

Grâce à la Green Cantine Maryem s’est non seulement découvert des qualités professionnelles comme cuisinière et gestionnaire mais elle a également pris une place, aussi bien au sein du CLT que dans la société bruxelloise en tant que femme et en tant que représentante d’une autre culture. Maryem a gagné en autonomie et a pris confiance. Les effets positifs de la Green Cantine ne se font pas seulement ressentir auprès des femmes qui l’animent en leur donnant une place, plus de pouvoir sur leur propre vie, elle favorise aussi les liens entre des personnes venues d’univers différents qui se rencontrent à son occasion. Son témoignage illustre la richesse du projet Green Cantine « Je ne suis plus juste une candidate au logement. On a des activités, on fait des catering, des tables d’hôtes, on fait  vivre le quartier. Les personnes âgées sont invitées aux événements, ainsi que des personnes qui vivent seules chez elles. Les enfants aussi. Voilà tout ça, ça va plus loin que le logement. »

L’histoire de Maryem raconte non seulement la trajectoire d’une femme qui prend et trouve place mais aussi celle d’un projet qui favorise la solidarité horizontale et, ce faisant, fait communauté. Maryem en atteste : « Ce projet représente beaucoup pour moi. C’est ma vie, c’est ma fierté. »

Portrait réalisé par Garance Roberti de Winghe, Céline Peeters et Victoria Uyttenhove

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Léonor, une cuisinière qui a les pieds sur terre

Léonor est engagée et volontaire à la Green Cantine du Community Land Trust Bruxelles (CLTB) dans le quartier Louise à Bruxelles. Dynamique et extravertie, elle participe à ce projet depuis fin 2019. Sa fibre culinaire et son envie de s’engager lui ont permis de faire ce qu’elle aime aujourd’hui : travailler avec des femmes venues de différents pays d’Afrique autour d’un projet culinaire commun.

 « Je décris mon parcours professionnel comme un grand voyage, composé de rencontres et d’opportunités ». Après ses études à l’Ichec, Léonor n’était pas très épanouie, sans pour autant regretter son choix d’études. « La cuisine a toujours été quelque chose qui m’a très fort animée » dit-elle, tout en expliquant qu’elle a eu beaucoup de mal à l’assumer et à se lancer dans cette voie. Du statut de freelance à son emploi chez Delhaize, en passant par une formation en cuisine aux Etats-Unis et en Angleterre, Léonor a pu explorer une grande variété de facettes du secteur alimentaire. Avec ses douze ans d’expérience professionnelle Léonor est arrivée, en tant que bénévole, dans le projet de la Green Cantine via une de ses connaissances qui l’a rapidement mise en contact avec Dado, l’accompagnateur du projet.

Green Cantine est une table d'hôtes du CLTB gérée par un groupe de femmes qui propose des spécialités afro-belges. Léonor a été très vite motivée par l’idée d’en faire partie. Sa dimension sociale l’a attirée, certainement parce qu’elle manquait dans ses précédentes expériences professionnelles : « Je ressentais une volonté de changer et d’utiliser l’alimentation comme un outil pour travailler l’inclusion et tisser des liens. Les quelques fois où j’ai fait du social, ça m’a apporté tellement de joie ». Au-delà du lien social ainsi créé, le projet lui donne le moyen de faire de nouvelles expériences : « C’est une façon pour moi de mieux comprendre l’approche nécessaire pour aller dans le sens de l’inclusion, de l’épanouissement personnel et également professionnel des femmes de la Green Cantine ».

La présence d’une cuisinière expérimentée est très précieuse au projet : s’il fonctionnait déjà bien avant son arrivée, Léonor lui a apporté un certain réalisme. En effet, son expérience professionnelle permet aux autres membres du groupe d’ouvrir les yeux sur certaines réalités de terrain : le temps qu’un tel projet nécessite, le style de vie des Bruxellois et la faisabilité de certaines propositions de recettes. « Je suis donc là pour leur rappeler que c’est très bien de rêver parce que c’est ce qui va nous motiver. Mais après il faut redescendre sur terre et faire les choses par étapes, sans se brusquer et en étant attentifs aux contraintes, tout en proposant quelque chose de professionnel. »

La relation que Léonor entretient avec les femmes de la Green Cantine est basée sur le principe du donnant-donnant. Si elle lui apporte son expérience professionnelle en échange, le projet lui permet d’élargir son horizon culinaire. Avant ce projet, elle n’était pas du tout familière avec la cuisine africaine. « C’est une découverte permanente », nous dit-elle enthousiaste. « La beauté de ces femmes qui savent cuisiner, c’est l’idée de proposer quelque chose qui a une couleur, pour la Belgique aussi. On a tout à apprendre d’elles et leur message est puissant : ‘ Voilà notre cuisine, voilà ce qu’on aime, voilà qui on est, on habite en Belgique et voilà l’effort qu’on fait vers vous’ ».

Portrait réalisé par Garance Roberti de Winghe, Céline Peeters et Victoria Uyttenhove

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Marianne, à cent à l’heure pour le Local

Hollandaise d’origine, Marianne est une femme de conviction qui sait ce qu’elle veut. Pensionnée passionnée, elle aime à la fois « utiliser sa tête et ses mains » pour réaliser ses projets. A côté de ça, elle aime se balader dans les bois, prendre soin de son jardin et rêve d’apprendre à faire de la couture avec une machine. Investie depuis le début dans son lieu de vie, elle a vécu de près les évolutions du quartier.

« Moi je vis dans ce quartier depuis 1979. Cela fait quarante ans que j’habite dans la même maison et la seule chose qui s’est passée, c’est que j’ai déménagé du premier étage vers le rez-de- chaussée ». Le quartier Brabant n’a donc aucun secret pour Marianne : elle y vit, s’y investit et y entretient une multitude de relations depuis de nombreuses années. Son engagement dans le quartier a cependant évolué : « Au début, lorsque j’ai emménagé, je partais le matin tôt et je revenais tard le soir. A ce moment-là, je ne me rendais pas tellement compte de ce qui s’y passait.»

Toutefois, Marianne n’a pas attendu qu’on vienne la chercher pour s’impliquer. Déjà très active dans sa vie de travailleuse, pour elle, le bénévolat n’est pas quelque chose de nouveau. Avant la concrétisation du Local de Quartier, plusieurs activités avaient lieu à proximité de la Rue Verte: le lien téléphonique, la table d’hôtes et des animations autour d’un four à pain mobile. « Ce four à pain sert à faire des pizzas : il est utilisé dans la rue pour faire des fêtes, etc.». Le Local de Quartier s’inscrit donc dans la continuité d’un engagement de plus longue durée.

« Il y a des moments de la journée où il faut faire quelque chose et il faut être quelque part»  Bien qu’elle ne compte pas les heures qu’elle passe au Local, Marianne n’est pas là pour  combler son temps libre. Avec le Local, elle se voit investie d’une mission, elle ne s’engage pas dans ce projet pour elle-même : « Moi, je ne suis pas dans le Local pour passer le temps ou par manque de contact ; je suis bien entourée. D’ailleurs, à mon avis, c’est une condition sine qua non : on ne peut pas faire grand-chose pour les autres si on n’est pas bien soi-même. » On l’aura compris, ses journées ne manquent pas de permanences, de rencontres, ni même de préparatifs de la table d’hôtes qu’elle organise une fois par mois. Même si ce n’est son objectif principal, il arrive que le Local de Quartier permette à Marianne de faire des rencontres : « C’est plus rare, mais il est arrivé que je fasse connaissance de gens qui habitaient dans la même rue que moi, que je ne connaissais pas auparavant et avec qui j’ai des choses à partager. Disons qu’on fait des rencontres sans aller les chercher

En réalité, ce qui la motive surtout c’est de recréer cette ambiance d’entraide d’autrefois : « Moi j’ai connu le temps où il y avait beaucoup plus d’entraide, des contacts entre les gens. Moi je suis là pour aider à rétablir un peu ce genre de liens et par la même occasion faire quelque chose d’utile. » De plus, le Local a permis de fédérer et de visibiliser les activités du quartier. « C’est aussi un lieu où on peut se rendre compte que ceux que l’on considère comme différents sont souvent beaucoup plus proches de nous qu’on le pense. »

Portrait réalisé par Montaine Kayaert, Romane Marchal et Lucie Roba

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Serigne, un passeur de cultures à Matonge

Serigne est un manager culturel, passionné par les jeux traditionnels africains, les arts martiaux et le football, et avant tout un homme qui rêve et qui sait rassembler. Il apprécie particulièrement discuter jusqu’au bout de la nuit avec ses amis de son parcours de vie, de ses projets en cours et de ses réflexions.

En 2013, il fuit le Sénégal, son pays natal et vient en Belgique pour des raisons politiques après avoir réalisé des téléfilms sur l’homosexualité, bannie dans son pays. Lors de son arrivée en Belgique, il suit une formation de médiateur culturel, ce qui l’aide à lancer le collectif JOUWAii soutenu par CitizenDev et le Contrat de Quartier, qui cherche à valoriser les jeux traditionnels africains au sein de la commune d’Ixelles.

 Parmi les personnes qui l’ont aidé, Serigne ne manque pas de citer Piet et Kinch, qui ont facilité sa participation à la table des connecteurs. A la suite de cela, il s’est joint au projet CitizenDev, qui « permet une participation massive des habitants et des populations à un projet proposé par les citoyens. Avec CitizenDev, c'est du bas vers le haut ». 

Son collectif JOUWAii a pour credo de défendre les jeux comme alternative à la solitude et au repli sur soi. Au centre du projet donc, mettre le lien au coeur du quartier, via une synergie des jeux africains comme l'awalé, le yoté, le yakabatiya, le woure, et bien d’autres jeux ancestraux de plateau, de figurines, d’ambiance, de force, de danse et de chanson. 

Serigne tient d’ailleurs beaucoup au vivre-ensemble des communautés africaines et citoyens bruxellois que permettent les interactions et dialogues joyeux suscités par le jeu. Sensibilisé à la gentrification et la ghettoïsation des communautés, il dit que « les jeux permettent aux gens de créer des liens entre eux, de créer le vivre-ensemble, de commencer à discuter, d’échanger, et ça permet aux gens de se retrouver. »  Le collectif Jouwaii non seulement transmet l’apport pédagogique des jeux africains, qui « parlent de démocratie, de liberté de circulation, de solidarité, de partage …» mais il participe également à leur sauvegarde car même en Afrique ils sont menacés de disparition. Serigne ne manque pas alors de désigner le smartphone comme principal coupable. 

Il les présente dans des écoles, notamment à Saint-Boniface, ou dans des maisons de la culture comme Kuumba. Mais aussi et surtout lors de l’African Traditional Games Festival, qui a eu lieu durant trois jours début mai 2019, autour d’un parcours de 17 stands - un par pays. C’était pour lui une grande réussite. Un véritable melting-pot de nationalités qui échangent: « des Bulgares, des Belges, des Français, des Congolais, des Sénégalais, des Rwandais. » Il a même reçu un écho favorable de la part des autorités sénégalaises, venues aux côtés de « députés, de maires, de bourgmestres et échevins » belges. Une belle revanche … « C’était fascinant » dit-il, en espérant poursuivre l’aventure en Afrique, au-delà de CitizenDev.

Portrait réalisé par Céline Mathijsen, Eléonore Offermans et Leeloo Saweryniuk, étudiantes de l’Université Saint-Louis-Bruxelles

Lisez la publication complète ici.